La justice russe a infligé lundi aux deux organisateurs d'une exposition d'art controversée une amende totalisant 9000 euros, alors qu'ils risquaient trois ans de prison pour incitation à la haine, au terme d'un procès vivement critiqué par des artistes et des ONG.

Iouri Samodourov, alors directeur du musée Sakharov qui accueillait les oeuvres, a été condamné à 200 000 roubles d'amende, et Andreï Erofeïev, commissaire de l'exposition, à 150 000 roubles d'amende, par le tribunal Taganski de Moscou.

Les deux responsables avaient une «intention criminelle» et ont commis «des actes visant à attiser la haine raciale» et religieuse, selon la présidente de la juridiction, Svetlana Alexandrova, qui a également décelé dans les oeuvres de l'exposition Art interdit 2006 un vocabulaire grossier.

Le parquet avait requis contre eux trois ans d'emprisonnement.

L'exposition avait été organisée pour présenter des oeuvres que les directeurs d'autres musées avaient jugé trop choquantes pour être montrées, notamment le Christ dans une publicité pour la chaîne de restauration rapide McDonald's ou encore Mickey Mouse dans un tableau religieux.

Ces oeuvres ont suscité les foudres d'une organisation ultra-orthodoxe et nationaliste russe, «le Concile du peuple», qui avait déposé la plainte à l'origine du procès.

Après l'énoncé du jugement, M. Erofeïev a exprimé un certain soulagement tout en affirmant que la décision était politique.

«C'est d'abord un jugement de compromis qui grâce à Dieu ne me condamne pas à la prison. La décision vient sûrement du gouvernement ou du Premier ministre (Vladimir Poutine), j'en suis même certain», a-t-il déclaré.

De son côté, l'organisation de défense des droits de l'homme, Amnesty International, a dénoncé un «jugement honteux» qui constitue «une nouvelle atteinte à la liberté d'expression», dans un communiqué soulignant que les deux responsables condamnés devraient faire appel.

En revanche, un représentant du «Concile du peuple», Oleg Kassine, a estimé que les sanctions étaient trop clémentes.

Interrogé la semaine dernière sur Art interdit 2006, M. Erofeïev avait expliqué que l'idée était de montrer qu'il y avait une forme de censure qui s'installait depuis 2006. Raison pour laquelle les oeuvres n'étaient visibles que si l'on pressait son oeil contre des trous percés dans le mur les dissimulant.

En colère, des ultra-orthodoxes regroupés devant le tribunal, dont des femmes âgées exhibant des tableaux avec des icônes religieuses, ont crié au scandale après l'énoncé du jugement.

M. Erofeïev a estimé que cette procédure était l'oeuvre de «nationalistes» parmi les ultra-orthodoxes et s'est dit victime de menaces qui lui font désormais craindre pour sa sécurité.

«Je vais essayer maintenant de faire attention à ne pas rester seul dans une rue calme, déserte, mais ça ne veut pas dire que je dois abandonner la vie publique et mon travail de commissaire d'exposition», a-t-il encore dit.

Par ailleurs, plusieurs représentants de l'association d'artistes «Voïna» (Guerre, en russe) ont été interpellés par la police après avoir introduit des cancrelats dans l'enceinte du tribunal pour protester contre la tenue de ce procès, selon la radio Echo de Moscou.

La semaine dernière, 13 artistes russes de renom ont adressé au président Dmitri Medvedev une lettre lui demandant de mettre fin à cette procédure, soulignant qu'une reconnaissance de culpabilité serait «une sentence pour l'ensemble de l'art contemporain russe».