L'artiste montréalais Manuel Bujold a visité l'hiver dernier des usines en Chine et au Vietnam où des milliers de copistes reproduisent des tableaux de maître occidentaux et parfois même de peintres canadiens. Il en rapporte une série de tableaux déroutants, des copies de ses propres photos documentant le phénomène.

Si le rôle de l'artiste est de questionner la société, le peintre et photographe Manuel Bujold tape droit dans le mille avec l'exposition Le Grand Détour, Not Made in China, présentée à la galerie Art mûr. On en sort la tête bourdonnante de questions.

Qui est le véritable artiste, à l'ère du sampling et des copies de tableaux à la chaîne? Quelle est la valeur d'une oeuvre de maître quand on peut la reproduire au même prix que la photo d'une chanteuse pop? Quelle est la valeur du travail de ces copistes au talent certain? Et le rôle du marché de l'art? Et à la limite, que reste-t-il du travail de Manuel Bujold lui-même?

«Si j'imprimais mes photos sur une toile et que je les retouchais, la question ne se poserait pas», explique-t-il. Il pourrait en théorie vendre plusieurs «copies» d'un même tableau. Il suffirait de passer une commande aux ateliers asiatiques et de les corriger, comme il a fait pour les pièces de l'exposition. «Mais en pratique, ce ne sera jamais exactement le même.»

Manuel Bujold est débarqué à Shenzhen avec l'idée de rassembler des copistes de grandes usines dans un endroit public afin qu'ils se copient eux-mêmes, dans une démarche proche du reportage. Les dirigeants communistes locaux lui demandant beaucoup d'argent - et même une voiture -, il s'est tourné vers de plus petits ateliers de copistes, qu'il a pu prendre en photo. Il a ensuite remplacé certains des tableaux apparaissant sur les photos à l'aide de Photoshop.

Et puis, il a travaillé avec des copistes pour reproduire ses propres photos. Le résultat? Un mélange d'oeuvres de différentes époques et styles, grand fourre-tout où les tableaux de maîtres côtoient les chiens husky et la peinture sur velours. Et où on sent aussi la présence des ouvriers : ventilateurs, ordinateur, distributrice d'eau, chaises de patio, pinceaux, scooter. Quand les copistes n'apparaissent pas eux-mêmes au travail...

On perd vite le compte des mises en abyme dans cette entreprise de (dé)mystification: le copiste apparaissant dans la copie d'une photo de lui faisant des copies... L'artiste fait quelques clins d'oeil aux peintres: ici, un tableau de singe peignant un tableau, là, des personnages eux-mêmes entourés de tableaux.

Qu'est-ce qui est vrai, qu'est-ce qui est faux? Difficile aussi de ne pas faire un parallèle avec la démarche d'Orson Welles dans F for Fake (Vérités et mensonges), vrai-faux documentaire sur un vrai faussaire.

Serait-il le premier artiste à se sous-traiter lui-même en Asie? «J'aurais pu les peindre moi-même, mais cela m'aurait pris beaucoup plus de temps, deux ou trois ans», dit-il. À titre de cofondateur du Mouvement art public, il ne peut s'opposer à ce que l'art se démocratise. «Tout ce qu'ils font, c'est de rendre l'art accessible. Je suis très content d'avoir chez moi La jeune fille à la perle», payé 10$ avant transport.

Mais il questionne aussi le marché de l'art. Les millions de tableaux qui quittent le port de Shenzhen. Et ces galeries de Hong-Kong, où les copies entassées «déforment le sens de l'oeuvre à outrance et anéantissent le statut de l'artiste».

Ironie du sort, le travail de Bujold pourrait déjà être plagié. Un de ses amis à Saigon a pris une photo de ce qui semble être une reproduction d'une de ses pièces, qu'aurait commandée un galeriste de New York...

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Le Grand Détour, Manuel Bujold, à la Galerie Art Mûr, jusqu'au 12 décembre.