L’édition originale de Refus global compte 400 exemplaires numérotés. « Il est probablement prudent de s’en procurer un exemplaire le plus tôt possible », indiquait Le Canada du 16 août 1948, en référence à ce tirage limité. Où sont passés les exemplaires originaux ? Quelle en est la valeur ? La Presse s’est mise à leur recherche.

Le libraire Mathieu Bertrand se souvient de cette vente aux enchères d’art canadien tenue par Heffel à Vancouver le 17 mai 2012. Entre des toiles de Jean Paul Lemieux, Paul-Émile Borduas, Emily Carr, Lawren Harris et autres se trouve un exemplaire de Refus global. Prix estimé : entre 8000 $ et 10 000 $. Somme payée par l’acheteur : 30 000 $.

« C’était un prix totalement ridicule, dit M. Bertrand, propriétaire de la librairie Bonheur d’occasion et acheteur de collections privées. Ça ne valait pas ça. Mais cela a fait sortir plusieurs exemplaires. Il a fallu des mois avant que les choses se calment. »

Ce jour-là, les acheteurs friqués ont fait monter les prix beaucoup plus que prévu. Les acheteurs de livres rares ont dû s’adapter ou, comme M. Bertrand, attendre un réajustement à la baisse.

« Jusqu’à il y a une quinzaine d’années, un exemplaire du Refus global se vendait dans les 2500 $, 3000 $, dit-il. Maintenant, il est devenu plus rare. Notamment parce que le transfert générationnel s’est fait. Dans les 11 ou 12 dernières années, j’ai vendu 8 exemplaires du recueil à des prix variant entre 6000 $ et 12 000 $. »

Au fil de quelques entrevues avec des experts se dégage un consensus : 400 exemplaires d’un ouvrage imprimé en 1948, ce n’est pas d’une grande rareté. Ah bon ?

« Un tirage de 400 exemplaires en 1948 au Québec, ce n’est pas ouvertement petit, répond M. Bertrand, à notre grand étonnement. Ce n’est pas un très gros tirage, mais on ne peut pas dire que c’est un livre rare. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Daniel Chouinard et Catherine Ratelle-Montemiglio, bibliothécaires à BAnQ. Derrière eux se trouvent des exemplaires de Refus global et des estampes réalisées par certains des signataires. BAnQ conserve une collection d’estampes.

« Encore aujourd’hui, on le voit avec le dépôt légal, plusieurs essais sont tirés à moins de 1000 exemplaires, dit de son côté Daniel Chouinard, bibliothécaire responsable des achats et des dons de documents pour les collections patrimoniales à Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Donc, 400 était un nombre relativement important. La preuve étant qu’il en ressort continuellement sur le marché. »

Par contre, l’impact qu’a eu le recueil dans l’histoire du Québec et le fait qu’il attire toujours l’attention de nos jours en font un objet recherché.

D’autres facteurs influencent le prix : l’état du document, son intégralité et la présence, ou non, du bandeau retenant les feuillets.

Le recueil est un objet artisanal. Tout a été fait à la main. Le papier, ça saute aux yeux, est d’assez mauvaise qualité. Certains sont jaunis par action d’acidification en étant exposés à la lumière.

Daniel Chouinard, bibliothécaire responsable des achats et des dons de documents pour les collections patrimoniales à BAnQ

Par ailleurs, le livre n’est pas relié ni cousu. Il est composé de feuillets détachés. Refus global en est un parmi d’autres. De sorte que certains exemplaires sont retrouvés incomplets. Mathieu Bertrand dit en avoir acheté trois dans cet état.

Quant au bandeau, on comprend qu’il servait à retenir les feuillets ensemble. Or, il se fait rare dans les éditions en circulation.

Des exemplaires dans les institutions

Il arrive que des collectionneurs lèguent des ouvrages rares aux bibliothèques, musées, etc., contre reçus fiscaux. Et une fois qu’un livre entre dans une institution, il est retiré une fois pour toutes de la circulation, observe Mathieu Bertrand. Alors, le livre se fait plus rare.

La Presse a pu retrouver la trace de plusieurs exemplaires de Refus global dans des institutions québécoises et chez certains individus. Selon notre recherche, c’est BAnQ qui en possède le plus, soit cinq exemplaires. Qu’en fait-on ?

Nous avons par exemple des demandes de prêt pour des expositions. On a des exemplaires en bon état, dont un qui est prêté lorsque nous avons des demandes. Sinon, des gens viennent en salle de lecture les consulter. C’est plutôt rare, mais il y a des pointes lors d’anniversaires comme cette année.

Catherine Ratelle-Montemiglio, bibliothécaire responsable de la diffusion des collections de livres d’artiste, d’estampes et de reliures d’art

Au Musée canadien de l’histoire, à Gatineau, un exemplaire est en constante exposition, indique Xavier Gélinas, conservateur en histoire politique. « Nous possédons l’exemplaire numéro 367 et sommes fiers qu’il soit intact, dit-il. Depuis l’ouverture de notre exposition permanente dans la salle de l’histoire canadienne, il est exposé en continu. Si je ne m’abuse, nous faisons une rotation des pages aux six mois afin que celles-ci n’absorbent pas trop la lumière. »

Pour le prix de 1500 $, le Musée canadien de l’histoire a acquis l’exemplaire de Georges-Henri Gagnon, un homme de Chicoutimi, en 2002. « M. Gagnon était étudiant à l’École du meuble de 1946 à 1950 et a reçu son exemplaire des mains de Borduas, relate M. Gélinas. Il avait gardé un bon souvenir de celui-ci. Contrairement à l’image d’artiste fiévreux que nous en avons conservé, M. Gagnon avait le souvenir d’un enseignant jovial et souvent badin. »

D’autres exemplaires

Voici d’autres exemplaires de Refus global que nous avons retrouvés.

  • Le Musée national des beaux-arts du Québec (MNBAQ) possède deux exemplaires, un dans le Fonds Madeleine et Alfred Pellan et un autre acheté à sa publication par Paul Rainville, alors directeur de cette institution.
  • Le Musée des beaux-arts de Mont-Saint-Hilaire possède l’exemplaire numéro 130 et les visiteurs peuvent le voir cet été à l’occasion de l’exposition Marcel Barbeau Global mixte – 75 ans du Refus global, qui a lieu jusqu’au 8 octobre.
  • L’Université du Québec à Montréal possède l’exemplaire numéro 321, avec jaquette, à son Centre des livres rares. Fait inusité, on trouve aussi une version tapuscrite du texte dans le Fonds Marcel Barbeau.
  • L’Université de Montréal possède deux exemplaires, les numéros 105 et 114, indique le bibliothécaire Éric Bouchard. Le premier est en conservation et le second sert davantage à la consultation.
  • Line-Sylvie Perron, fille de Maurice Perron, possède un exemplaire du recueil et en a donné un au MNBAQ. Il se trouve dans le fonds Maurice Perron. Le MNBAQ nous a précisé qu’il s’agit de la maquette du livre incluant seize photographies.
  • Le galeriste Simon Blais possède l’exemplaire numéro 326 et ajoute qu’un ami montréalais possède le numéro 72. « J’ai aussi déjà vendu le numéro 134 à un collectionneur de Québec et un autre exemplaire à Françoise Sullivan il y a au moins 15 ans », dit-il.
  • M. Blais a aussi vendu l’exemplaire 81 au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM). Cet exemplaire, chose rare, possède le bandeau original. En 2020, le MBAM a aussi acquis le numéro 251, don de Jacques Tremblay, neveu de Bruno Cormier.
  • Le 18 avril 2012, l’Université York a publié un communiqué de presse annonçant avoir acquis l’exemplaire numéro 131.