Certain (e)s artistes ouvertement gais, lesbiennes, trans, bisexuel (le)s ou queer font de leur marginalité la matière première de leurs oeuvres et profitent de leurs tribunes pour émouvoir, vulgariser et faire réfléchir le reste de la population aux réalités de la communauté LGBTQ. Même si d'aucuns trouvent qu'ils le font trop activement...

Auteur de nombreuses pièces étiquetées LGBTQ, dont Les feluettes, Tom à la ferme et Christine, la reine-garçon, Michel Marc Bouchard n'a jamais ressenti le besoin de s'éloigner des thématiques ou des personnages LGBTQ pour prouver qu'il pouvait faire autre chose.

« Pour prouver quoi à qui et pourquoi ? demande-t-il en entrevue. Cette prémisse m'apparaît artificielle. Ça ne m'est jamais passé par l'esprit, même si plusieurs personnes m'ont dit que j'abordais trop le thème de l'homosexualité... On n'a pas reproché à Shakespeare de toujours écrire sur l'hétérosexualité ! Ce n'est absolument pas un enjeu pour moi. »

Plus de 30 ans après la première des Feluettes, le dramaturge explique pourquoi il préfère mettre en mots les amours homosexuelles. « C'est ce que je connais, ce que je ressens et ma façon d'observer le monde. Je vois à travers les yeux d'un homme qui aime un autre homme. J'ai toujours voulu avoir cette intégrité quand je parle d'amour. »

Au cours de la dernière décennie, un autre auteur ouvertement gai s'est fait reconnaître pour la sensibilité avec laquelle il traite d'homosexualité, de transphobie, d'homoparentalité, de bisexualité, de transgenrisme ou de désirs adolescents flous. Simon Boulerice estime qu'environ la moitié de ses pièces de théâtre, de ses romans et de ses poèmes abordent de près ou de loin une thématique LGBTQ. 

« Ma littérature aborde souvent ces questions, simplement parce que ça fait partie de ma vie, dit-il. Même si je ne me résume pas à mon homosexualité, ça fait partie de moi. Je crois que ce qui me sert le plus dans mon écriture, c'est mon regard franc sur le monde. Ça va donc de soi que je me révèle dans ce pan-là de ma vie. Mon identité personnelle est un carburant. »

Il pense d'ailleurs que les années difficiles qu'il a vécues au secondaire en raison de ses différences ont nourri l'artiste en lui. « C'est un peu masochiste de dire ça, mais je suis un peu heureux d'avoir été exclu et de m'être senti comme un électron libre, un peu bibitte. Avoir été à l'extérieur du groupe m'a donné un regard complètement différent sur la vie. »

LES ATOUTS D'ÊTRE UNE OUTSIDER

Une analyse qui rejoint celle de DeAnne Smith, une humoriste américaine ouvertement queer qui vit aujourd'hui à Toronto. « D'une certaine façon, je me suis toujours sentie comme une outsider, affirme-t-elle. Quand on fait du stand-up, il y a une raison pour laquelle 300 personnes regardent dans une direction et toi dans l'autre. On commente la société. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRéCHETTE, archives LA PRESSE

S'il a déjà ressenti une certaine gêne avec l'étiquette d'auteur homosexuel, Michel Marc Bouchard est maintenant fier de sa contribution à la littérature LGBTQ.

Photo tirée de la page Facebook de l’artiste

« C'est important pour moi d'être une personne queer qui s'adresse au grand public », souligne l'humoriste DeAnne Smith.

Son point de vue en marge lui a d'ailleurs permis de goûter au succès viral : la captation vidéo d'un numéro où elle parle des femmes hétérosexuelles aux hommes hétérosexuels, en tant que lesbienne, a été vue par des millions de personnes dans le monde au cours des derniers mois.

Pourtant, peu de ses numéros abordent directement les thématiques LGBTQ. « Cette année, mon spectacle ne parle pas explicitement du fait d'être queer, mais oui, je parle de ma vie et de ma relation avec une femme. J'aborde les questions de genre. Et j'adore repousser les frontières. » 

TRANSFORMER DES VIES

Ce désir d'élargir les consciences est partagé par Simon Boulerice. L'auteur a récemment rencontré des élèves de quatrième secondaire qui avaient lu L'enfant mascara, un de ses romans relatant le destin tragique d'un jeune trans.

« Après la rencontre, un garçon m'a laissé une lettre qu'il avait signée avec un prénom féminin, se souvient l'auteur. Il se posait plusieurs questions à la suite de sa lecture. Il était en train de se révéler à lui-même. Nous avons échangé quelques courriels et, au fil de la correspondance, il n'utilisait plus son prénom masculin. Trois mois après ma visite en classe, son professeur m'a écrit pour me dire qu'il s'identifiait officiellement comme une fille à l'école. »

Pour sa part, Michel Marc Bouchard n'a pas toujours été à l'aise quand les médias l'invitaient à s'exprimer publiquement sur diverses thématiques LGBTQ. 

« Au début de ma carrière, je ne voulais pas être uniquement étiqueté gai, car ça venait avec un a priori assez limitatif, précise-t-il. Mais aujourd'hui, j'ai moins de problèmes. Si je peux être un modèle ou offrir une parole crédible pour le mouvement LGBTQ, ça me fait plaisir de parler de certains enjeux. » 

Le dramaturge doit tout de même faire un tri parmi les invitations. « On m'a déjà interpellé sur le mariage gai, mais, comme je n'avais pas de position comme telle, je n'y suis pas allé. Par contre, si on parle de la misère psychologique et sociale des membres de la communauté ou de la torture des homosexuels en Tchétchénie, je suis le premier à aller au front ! C'est important de venir en aide à nos semblables. Sauf que je ne suis pas Monsieur Gai. »

ENTRE HONNÊTETÉ ET ÉTIQUETTES

L'humoriste DeAnne Smith refuse elle aussi d'être l'humoriste lesbienne ou queer de service. « C'est hyper ghettoïsant ! Quand on me présente ainsi, ça tient à distance plusieurs personnes qui auraient pu aimer mes blagues, comme si je m'adressais seulement à un auditoire queer. C'est important pour moi d'être une personne queer qui s'adresse au grand public. » 

À ce sujet, elle évoque un numéro présenté en Australie dans lequel l'animateur de la soirée feignait l'ignorance sur des questions LGBTQ, alors qu'elle vulgarisait le tout avec humour. « Je suis heureuse de faire ça quand je le peux. C'est facile pour moi de m'exprimer. C'est pour ça que je fais du stand-up. Et je sais que tout le monde n'a pas le même privilège d'être entendu. Je ressens donc une responsabilité d'en parler. » 

À force de se documenter sur les questions LGBTQ, Simon Boulerice se sent lui aussi plus à l'aise de donner son point de vue. « Je me sens mieux outillé qu'avant pour prendre parole et je trouve ça nécessaire que certains le fassent. » 

Il se souvient tout de même d'une époque pas si lointaine où on lui avait conseillé de ne pas s'associer trop directement à la communauté gaie. 

« Quand j'ai lancé mon premier roman, Les Jérémiades, une histoire d'amour entre un garçon et un adolescent, j'ai pensé faire le lancement dans un bar gai. Je me disais que je pourrais aller chercher un lectorat qui pourrait peut-être partager ce genre de souvenirs. Mais mon éditrice m'a dit de ne surtout pas faire ça, parce que mon roman était universel. »

Bien que l'industrie littéraire et le milieu de l'humour soient deux univers souvent aux antipodes, l'attitude de certaines personnes face à la différence comporte d'incontestables similitudes. 

« Il y a 10 ans, dans un club de Montréal, on m'a dit de ne surtout pas m'afficher comme lesbienne parce que j'allais m'aliéner les spectateurs, se rappelle DeAnne Smith. Je ne les ai pas écoutés et j'ai fait ma première blague là-dessus ! À l'époque, le mariage gai était déjà légal au Canada et je ne comprenais pas pourquoi on me conseillait de ne pas être moi-même. Être queer est une part de moi, alors j'en parle ! »

À ses débuts, Michel Marc Bouchard ressentait une certaine gêne avec l'étiquette d'auteur homosexuel. 

« Je refusais d'être dans l'anthologie des oeuvres gaies, explique-t-il. J'avais l'impression que ça fermait le sens. Comme si une histoire où je mettais en représentation des homosexuels était beaucoup plus pamphlétaire et politique, alors que ce n'était pas vraiment le cas. » 

Sa position a toutefois changé, suivant l'évolution du mouvement LGBTQ et des moeurs. « Maintenant, je suis fier d'avoir créé des oeuvres qui sont considérées comme importantes dans la littérature en général et dans la littérature LGBTQ en particulier. » 

Simon Boulerice participera à une discussion animée par Denis-Martin Chabot le 17 août, à 19 h, au bar Le Cocktail. Son livre L'enfant mascara fait partie des titres retenus pour Le combat aux mots, où des personnalités débattent des mérites de quatre livres à thématique LGBTQ, le 16 août, à 19 h, au bar Le Cocktail, dans le cadre de Fierté Montréal.

DeAnne Smith participera à la soirée d'humour Queer.Féministe.Fun le 16 août, à 21 h, à la place Émilie-Gamelin, dans le cadre de Fierté Montréal.