Si l'on s'en tient aux engagements pris par notre nouveau premier ministre pendant la dernière campagne, la culture - totalement absente de son discours sauf quand les médias l'abordaient - ne ferait pas partie des «vraies affaires».

L'absence de plateforme «culturelle», on doit le constater, n'a pas trop nui aux libéraux qui se retrouvent aujourd'hui avec un gouvernement majoritaire. Reste que le prochain ministre de la Culture (et des Communications) sera vite confronté à de «vrais» problèmes de nature éminemment culturelle dont les incidences dépassent largement la création artistique à laquelle on a trop souvent tendance à réduire ce secteur.

Au premier chef apparaît l'environnement numérique, un champ où, les experts s'entendent, le Québec accuse un énorme retard, tant dans les industries que dans les institutions. Le livre, le disque, la télé, le film font tous face au défi du numérique pour se faire connaître, se mettre en marché et s'exporter. Vu de la lorgnette business et au-delà de toute considération identitaire, il importe de reconnaître la capacité des industries de pointe - multimédia, jeux vidéo, etc. - à créer de l'emploi, ici créatif et bien rémunéré, et de la richesse. Et d'assurer d'abord la place du contenu québécois dans son propre marché.

M. Couillard a refusé de s'engager par rapport au programme numérique annoncé par le ministre péquiste Maka Kotto, peu avant le déclenchement des élections: 150 millions sur sept ans. Il faut d'abord voir le «cadre financier»...

Le milieu du livre, qui a montré cet automne une émouvante unanimité sur la question, doit maintenant faire son deuil d'une quelconque réglementation sur le prix du livre neuf. M. Couillard l'a dit clairement: il ne croit pas qu'un prix «unique» réglerait les problèmes dus au modèle d'affaires dépassé des petits libraires. Le premier ministre désigné a toutefois fait part de sa volonté d'aider ces petits commerçants qui offrent une plus-value (conseil, proximité), mais dit ignorer comment. Quelqu'un devra trouver la manière.

Le premier ministre dit vouloir soutenir le rayonnement de la création québécoise? Le cinéma constitue à cet égard un passeport éprouvé, mais le rapport de François Macerola, le chant du cygne de l'ancien patron de la SODEC, faisait état de faiblesses générales au niveau de la scénarisation. Sa successeure - Monique Simard prononcera la conférence d'ouverture du colloque du Printemps numérique mardi prochain - a déclaré que le rapport ne resterait pas lettre morte.

Et il y a les petits musées qui se disent laissés-pour-compte. Et le grand Musée d'art contemporain avec son projet d'agrandissement. Et toutes ces villes du Québec qui doivent se doter d'équipements culturels modernes... À qui M. Couillard confiera-t-il la mission de mener à bien toutes ces petites affaires sans augmentation de budget?

«On n'a jamais coupé dans la culture!» a répété Christine St-Pierre, la semaine passée au débat culturel de l'ADISQ. L'ancienne ministre de la Culture du gouvernement Charest (2007-2012) semblait prête à reprendre du service et c'est le premier nom qui ressort quand on parle aux gens du milieu. Deux choses: le milieu a gardé du premier ministère de Mme St-Pierre un souvenir mitigé et il faudra aussi voir comment M. Couillard se démarquera de la vieille garde de l'époque Charest, pas si lointaine.

Hélène David, la nouvelle députée d'Outremont, pourrait être ministre de la Culture demain matin, mais sa connaissance du monde universitaire semble promettre la docteure en psychologie clinique - la culture pourrait s'étendre sur le sofa... - à des tâches plus «lourdes», à l'Éducation peut-être.

Depuis la libérale Lise Bacon, en 1985, tous les ministres de la Culture ont été des femmes, à l'exception de Maka Kotto. Et toutes, sauf Agnès Maltais, venaient de la grande région de Montréal. «Connaître la ville» - la business, les institutions, les gens - représente quasiment un critère absolu.

En cherchant un autre profil culturel fort dans la députation libérale, on se retrouve vite devant la bio de David Heurtel, qui a démissionné de ses fonctions de PDG de la R.I.O. pour se présenter à l'élection complémentaire de décembre, en même temps que Philippe Couillard dans Outremont. Le risque était réel et «le boss lui en doit une».

Membre du cabinet politique du premier ministre Bernard Landry, David Heurtel a ensuite travaillé à Juste pour rire avant de devenir le premier secrétaire de la Société des événements majeurs internationaux (SEMIQ). Pendant quatre ans, cet avocat de formation a été directeur adjoint de l'immense complexe culturel Seattle Centre, avant de revenir au Québec où il a encore travaillé à JPR puis à evenko, en plus de siéger au conseil du Quartier des spectacles et de présider celui de Québec Cinéma.

David Heurtel connaît «la ville», mais certains lui reprochent des liens trop étroits avec Gilbert Rozon, le fondateur de Juste pour rire qui, à tort ou à raison, suscite dans la même ville la plus grande méfiance.

Dans cette nouvelle ère de transparence, cela ne devrait pas constituer pour un homme de qualité comme David Heurtel un empêchement à s'occuper des «vraies affaires» de la culture.

Portez à l'agenda

Anniversaire - Pour le dernier concert de sa saison anniversaire, l'Orchestre de l'Université de Montréal, dirigé par son chef-fondateur Jean-François Rivest, présente un programme qui évoque son parcours des 20 premières années. La création Odyssée festive d'Alexandre David, lauréat du Prix de composition de l'OUM 2013; le Concerto pour clarinette en la majeur de Mozart, avec Pedro Molina, 2e Prix du Concours de concerto 2013; et la Symphonie no 11 en sol mineur de Chostakovitch, dite «L'année 1905». L'année aussi où a été fondé le premier Conservatoire de musique de Montréal.