Gilles Vigneault a toujours chanté le pays et tout le monde connaît son option politique. Mais l'homme de 85 ans s'est rarement manifesté aussi clairement en campagne électorale qu'il vient de le faire en écrivant un texte sur le thème des «vraies affaires» pour le Parti québécois. Explications.

Gilles Vigneault nous reçoit dans l'ancien restaurant de Saint-Placide qui lui sert de local de travail. Avant de causer de son nouvel album Vivre debout, qui paraîtra le 15 avril et dont nous parlerons bientôt, il explique ce qui l'a incité à écrire pour le Parti québécois un texte lancé sur les réseaux sociaux pour dénoncer le slogan «les vraies affaires» du Parti libéral. Texte dans lequel il est question de culture et d'identité, d'être et d'avoir, de mémoire et d'oubli.

«C'est ma fille Jessica qui milite avec ardeur - ce que je trouve très bien - pour l'artiste Sylvie Legault [candidate dans Mercier] qui me l'a demandé, raconte M. Vigneault. Elle m'a dit: «Papa, exprime-toi». Ça m'est arrivé d'aller à une grosse réunion du PQ et de ne pas être gêné de mes opinions, mais pas de faire campagne. Je ne fais pas campagne avec ça. Les jeunes procèdent avec les réseaux sociaux. Moi, je ne connais pas ça, les réseaux sociaux, je tombe de la planète Mars avec ça. Jessica m'a dit: «C'est viral, papa, y a plein de monde qui m'en parle». J'ai dit «ben tant mieux».

«On revient à l'essentiel un petit peu avec ce texte, ajoute l'artiste. C'est navrant de voir M. Couillard nous parler des vraies affaires comme si les seules vraies affaires c'étaient les affaires, l'argent, l'argent, l'argent. L'économie et l'emploi, oui, mais pour quoi faire l'économie? Les vraies affaires, c'est les êtres humains qui composent le peuple québécois. Après ça il leur arrive de faire des affaires et il leur arrive d'être éthiques ou de ne pas l'être.»

Il reproche du même coup à la politique de créer des «oppositions faciles», entre les affaires d'un côté et la culture et la langue de l'autre: «Quand je vois M. Beaudoin et Bombardier vendre leurs avions à la grandeur du monde, je suis aussi fier, et je pèse mes mots, que quand je vois Robert Lepage recevoir le prix Glenn-Gould. Chacun dans son domaine est excellent d'une manière différente.»

Il ne demande pas aux entrepreneurs de devenir poètes, mais qu'ils fassent des affaires «le plus humainement possible». Quand je lui rappelle qu'il a participé en janvier 2011 au spectacle de solidarité avec les lock-outés du Journal de Montréal dont le patron était Pierre Karl Péladeau, qu'il connaît bien, Gilles Vigneault répond: «À ce moment-là j'ai trouvé qu'il avait manqué d'humanité. Je le dis, mais je ne le dis pas en colère parce que je n'ai pas été touché, moi. Mais ceux qui ont été touchés le disent en colère et je comprends leur colère.»

De toute façon, ajoute-t-il, une fois le référendum gagné, le pays devra se faire avec tout le monde, les «à droite» comme les «à gauche». Parce que l'indépendance du Québec, Gilles Vigneault y croit plus que jamais: «La foi chez moi, c'est atavique. Pas à cause de la religion, mais parce que j'ai un goût pour ça.»

Et la Charte?

«J'espère que Mme Houda-Pepin va battre le Dr Barrette. Voilà ce que je pense de la Charte», répond Gilles Vigneault en étouffant un rire. Puis il ajoute: «La Charte, pour Montréal c'est allé trop loin et pour la campagne c'est pas allé assez loin.»

Il insiste sur la laïcité de l'État en invoquant l'égalité et le respect de la femme. Sur l'interdiction des signes religieux ostentatoires pour les employés de l'État qui ne sont pas en poste d'autorité, il précise: «Je pense que le Parti québécois est allé fort, mais c'est ce que j'aurais fait: aller au-devant des coups pour être capable de reculer de façon stratégique après.

-Vous croyez que c'est ce qu'ils veulent faire?

-Je n'ai pas le secret d'État, mais je pense que c'est ce qu'ils vont faire logiquement. Enfin, moi, c'est ce que je ferais. Mais ne rien faire, c'est laisser faire.»

S'il est un sujet dont on ne parle pas assez dans cette campagne, dit-il enfin, c'est l'environnement «à un moment dans l'histoire où on va voir nos bêtises climatiques nous rattraper».

Il dit oui «avec inquiétude» à l'exploration pétrolière sur Anticosti: «Ça me dérange énormément quand c'est BP, Esso ou Shell, mais un peu moins quand c'est le gouvernement du Québec auquel je paie des impôts de plus en plus élevés. En autant qu'il y a toutes les garanties imaginables, et encore ça ne sera pas assez.»

Tant pis si les environnementalistes purs le traitent de tous les noms: «Le pur et dur en politique, ça n'existe pas. C'est pas humain. C'est pas vrai. Quand on est pur et dur dans un domaine, on est impur et mou dans d'autres.»