L'idée de Montréal, métropole culturelle, n'existait pas quand Simon Brault a grandi à Villeray à la fin des années 50, ni quand il est entré à l'École nationale de théâtre comme commis avant d'en devenir le directeur général, des années plus tard. Pourtant lundi, à la TOHU, au Rendez-vous 2012 où sont attendus plus de 800 participants dont Pauline Marois, l'idée d'une métropole culturelle sera plus tangible que jamais. Un peu, beaucoup à cause de Simon Brault.

Dans son bureau aux murs sombres où se mêlent des affiches de Kandinsky et de Mondrian, Simon Brault était à la fois anxieux et excité. Anxieux parce qu'il était attendu à Paris à un colloque international sur la Culture et le développement durable où il allait prendre la parole juste après le monument de la sociologie, Edgar Morin. Il avait beau être préparé, le syndrome de l'imposteur le turlupinait.

Et s'il était excité, c'est qu'il reviendrait à Montréal pour présider Le Rendez-vous 2012 de Montréal, métropole culturelle, tenu cette année dans un climat de crise et de chaos. «Ça ne me fait pas peur. Au contraire, je suis plus excité par la rencontre, aujourd'hui qu'il y a trois mois» m'a-t-il avoué d'emblée.

Sur le coup, je n'ai pas compris. Un sommet sur la culture me semblait la dernière chose dont notre ville en crise, devenue la capitale de la corruption et de la collusion, avait besoin.

«Pas du tout, a plaidé Simon Brault, il y a une urgence très créatrice dans cette ville démoralisée et désorganisée. Cette urgence nous pousse vers la solidarité et l'union des forces vives de la culture. Montréal a été déclassée économiquement, elle va mal au plan politique, au plan de la circulation. Sa bouée de sauvetage collective c'est la culture, sinon elle n'a aucune chance de s'en sortir et donc, aucun avenir. À preuve chaque fois que Montréal a traversé une crise, c'est la culture qui l'a sauvé.»

Simon Brault prêche pour sa paroisse, c'est évident. Monsieur Culture à Montréal c'est lui. En plus de diriger l'École nationale de théâtre du Canada, il est le fondateur de Culture Montréal, a été l'un des instigateurs avec sa conjointe Louise Sicuro des Journées de la Culture, en plus de présider le comité de pilotage de Montréal, métropole culturelle, et d'être vice-président du Conseil des arts du Canada.

La culture c'est son dada, sa passion, son obsession, ce par quoi il s'est mis au monde médiatiquement et philosophiquement aussi. Car, en plus de courir colloques, cocktails, bals et comités, il écrit de la poésie qu'il ne montre à personne et un essai, Le facteur C, sur l'offre et la demande en culture, devenu un ouvrage de référence sur la question.

Simon Brault a sorti le mot culture des boules à mites et des chapelles élitistes pour en faire un mot ouvert, accessible, amusant et engageant. N'eût été son acharnement, de son opportunisme (au bon sens du mot) et l'aide de précieux alliés comme Isabelle Hudon du temps qu'elle présidait la chambre de commerce de Montréal, l'idée d'une métropole culturelle n'aurait jamais réussi à s'implanter à Montréal et encore moins avec la bénédiction de tous les gouvernements.

Quand l'art vire au cauchemar

Pourtant Simon Brault n'est pas un artiste. À 20 ans, le mot artiste était synonyme pour lui de cauchemar. Aîné de huit enfants et fils d'un père, peintre et céramiste qui a sacrifié son art pour faire vivre sa famille, il a trop vu l'art être source de déceptions, de frustrations et de pauvreté. «Mon père qui était très engagé socialement a eu un rapport difficile avec l'art. Comme il ne pouvait vivre de son art, il travaillait de jour et peignait toute la nuit. Il ne dormait pas, était de mauvaise humeur ou alors revenait à la maison avec une pile de livres achetés sur l'impulsion du moment alors que le frigo était vide. J'ai grandi en croyant qu'un artiste c'était quelqu'un qui souffrait et qui était en conflit avec le monde entier.»

En même temps, Simon Brault avait dans son entourage un exemple plus positif: celui de son oncle, le poète Jacques Brault, qui avait une carrière et de la reconnaissance et lui offrait l'image d'un artiste épanoui.

Pourtant à 20 ans, Brault s'est inscrit en droit à l'université avant de décrocher pour voyager en Chine et revenir fauché comme les blés, et nouvellement papa, dans la métropole pas encore culturelle. Il se cherche un emploi et tombe sur l'annonce de l'École nationale de théâtre qui se cherche un... factotum, vieille expression française pour homme à tout faire.

Brault se revoit entrer dans le bureau du directeur, la même pièce qu'il occupe aujourd'hui. C'était il y a 31 ans. Bientôt l'homme à tout faire est devenu une bibitte indispensable en lien constant avec les élèves comme avec tous les services, y compris la comptabilité. Lorsque le comptable est tombé malade, il l'a remplacé temporairement puis pour de bon. Avant de devenir le grand patron de l'école en 1997, il a été codirecteur avec Monique Mercure. C'est à ce moment-là qu'il a hérité de la gestion de la rénovation du Monument-National, propriété de l'EN. Le chantier marque son baptême de feu dans le monde municipal.

«C'est là que j'ai commencé à m'intéresser aux problématiques de la ville et à découvrir l'importance de l'enracinement des écoles de théâtre dans leurs villes. Ce sont les villes qui donnent une couleur et une identité propre aux écoles de théâtre.»

Refusant pour lui-même et pour ses étudiants l'esprit d'enfermement, il développe ses réseaux et ses activités à l'extérieur de l'école et fonde Culture Montréal en 2002, la même année que le sommet économique du maire Tremblay.

«Après l'horreur et l'arbitraire du maire Bourque, ça faisait du bien d'avoir Tremblay même si la culture, ce n'était pas son affaire. Mais il nous a écoutés, et en 2004, quand Isabelle et moi lui avons proposé un sommet sur la métropole culturelle, il a dit oui et a tenu promesse.»

Lundi, toutes les instances du pouvoir seront au Rendez-vous 2012, du maire Applebaum jusqu'à Pauline Marois en passant par Maka Kotto, James Moore et Christian Paradis. «En 2007, au premier Rendez-vous, le béton était à l'honneur. Cette fois-ci, ça va être les idées, les approches, la participation culturelle, comment développer des réseaux plutôt que de créer de gros organismes paralysants. Environ 800 interlocuteurs vont s'exprimer et ma grande fierté c'est qu'à Toronto, on ne pourrait jamais réunir 800 personnes dans un même lieu pour réfléchir ensemble à la ville culturelle. À Montréal, oui.»

Lundi à la TOHU, ce sera sans doute un grand moment pour celui qui ne voulait pas être un artiste, mais qui a fini par trouver dans la défense de l'art et de la culture la cause de sa vie.

Quatre lieux emblématiques de Montréal selon Simon Brault

1) Les Écuries

Formidable laboratoire de création théâtrale et instrument de la nouvelle métropole, ce lieu a permis l'émergence de nouvelles voix fortes comme celles de Sylvain Bélanger ou de l'Iranien Mani Soleymanlou.

2) La Cité des arts du cirque

Pas juste le siège social du Cirque du Soleil, mais tout le complexe englobant l'école et la TOHU: un modèle réussi de développement aussi bien local qu'international.

3) La Grande Bibliothèque

Une création de l'an 2000 pensée en fonction de l'avenir, qui est à l'image de la métropole animée, bigarrée et éprise de culture de demain.

4) La rue

Parce que malgré notre nordicité, l'activité culturelle à l'échelle de la rue et dans les espaces publics, est une des plus actives et des plus dynamiques au monde.