Deux jours après la dernière du Sang des promesses (ou la «nuit Wajdi»), le jeune comédien et metteur en scène Emmanuel Schwartz est «the toast of the town» à Avignon.

Emmanuel Schwartz m'a donné rendez-vous à la Place des corps sains en plein coeur du centre d'Avignon, où il arrive à vélo, avec des verres fumés aux montures blanches sur son nez.

 

Quelques secondes après la visite de la serveuse à qui il commande une bouteille de blanc, une délégation de lycéens s'approche timidement de notre table. «Wilfrid, on voulait vous dire que vous êtes vraiment extraordinaire.», lance bravement la porte-parole de ce mini fan-club, qui dévisage le jeune comédien avec des sourires hébétés.

Cette célébrité spontanée, qu'il trouve «flatteuse pour l'ego», Emmanuel Schwartz la compare à une expérience vécue en 2004 à... Trois-Rivières.

«L'été où je suis sorti de l'école, je jouais dans Faux départ, dans un théâtre de Trois-Rivières qui s'appelait Curling Laviolette. C'est la deuxième fois, après Trois-Rivières, que des gens m'arrêtent dans la rue pour me féliciter. Je trouve Avignon pas si différente de Trois-Rivières, au sens où ça sent la petite communauté...»

Oui, d'accord, Emmanuel, Avignon et Trois-Rivières, c'est du pareil au même. À part bien sûr le rayonnement international, l'influence des critiques élogieuses de Libération et du Monde, les cocktails de fin de soirée où l'on tutoie Jan Fabre et consorts...

Ce que les spectateurs du Sang des promesses ignorent, c'est qu'une sacrée frousse a précédé la série de spectacles de 11 heures dans la cour du Palais des papes. Lors de l'entrée en salle qui avait lieu lundi 6 juillet, Emmanuel Schwartz s'est effondré en pleine répétition. Pour Wajdi et toute l'équipe de Littoral, Incendies et Forêts, c'était la catastrophe: Schwartz, qui joue le personnage central de Wilfrid dans Littoral et défend celui de Samuel Cohen dans Forêts, n'avait pas de doublure. Et ce n'était pas la première fois qu'Emmanuel montrait des signes d'épuisement.

«Le premier jour de filage, à Chambéry, j'ai vomi sur la scène. On m'a amené à l'urgence pour subir un paquet de tests. Le diagnostic était que j'étais en parfaite santé, sauf que j'étais surmené. On m'a prescrit deux semaines de repos, mais ça n'a pas été possible.»

Toutefois, le stress, l'anxiété, la terreur de passer à travers une nuit pareille dans un lieu aussi mythique ont finalement servi le jeune acteur, qui a soufflé tout le monde par sa magnétique présence dans Littoral, spectacle qui ouvre la nuit Wajdi au Palais des papes.

Le grand «petit frère» de Wajdi

«Je n'ai pas la prétention de me comparer à lui (Wajdi Mouawad) en tant que metteur en scène, mais je peux me comparer à lui en tant qu'homme. Nous sommes très différents, mais beaucoup de choses nous unissent. Il y a entre lui et moi une reconnaissance fragile, quelque chose que je soupçonne de lui et qu'il soupçonne de moi. Et il m'a appris quelque chose d'essentiel: dire «il est comme ci ou cela», de quelqu'un, c'est voler son identité.»

Grand gamin de 27 ans qui a dansé et composé de la musique pour Dave St-Pierre, joué à la télé dans Rumeurs et Kif Kif et même donné la réplique à Cate Blanchett dans I'm Not There, Schwartz dit avoir longtemps entretenu le «fantasme de la rock star.» Sous le soleil d'Avignon, il m'apparaît comme un romantique rassembleur, un rebelle nocturne, un gentil escogriffe qui passe ses nuits à écrire ses épopées en fumant ses Lucky Strike. Fils d'un guitariste de jazz anglophone juif et d'une orthopédagogue francophone catholique, il dit avoir été attiré par la scène dès sa tendre enfance.

«À trois ans, je faisais des chorégraphies sur du Michael Jackson», raconte le codirecteur (avec Mouawad) de la compagnie Abé Carré Cé Carré, qui cet automne met en scène un spectacle au théâtre La Chapelle.

Le jeune homme de théâtre, qui passe désormais la moitié de son temps en France, n'a fait que des bons coups, depuis qu'il a obtenu son diplôme de l'Option Théâtre de Lionel-Groulx, en 2004. Pour les auditions du Quat'Sous, il jouait le rôle de Clytemnestre, dans une scène de Racine. Wajdi Mouawad a tout de suite remarqué le jeune acteur, de sorte que peu de temps après, il lui proposait de fonder la compagnie Abé Carré Cé Carré. «J'ai été stupéfait par la vitesse à laquelle tout s'est passé. La même semaine, Serge Denoncourt m'a approché pour m'offrir un rôle et j'ai aussi été engagé pour jouer dans une quotidienne pour enfants.»

Famille artistique

Plus tard dans l'entrevue, nous sommes rejoints par le comédien Marc Beaupré et la blonde d'Emmanuel, Marie-Ève Perron, qui fait la jeune et bouillante Lou, dans Forêts. Comme plusieurs jeunes artistes de la génération des Dave St-Pierre, Francis Ducharme, Enrica Boucher et autres Justin Laramée, Emmanuel Schwartz est soudé à sa «famille artistique» qu'il côtoie depuis ses années d'école.

«Nous sommes tous autant des collaborateurs fidèles que des amis très proches. Aux débuts de Dave (St-Pierre), c'est Francis (Ducharme) qui nous l'a présenté. Ça se passe toujours un peu comme ça: on a tous nos créneaux, mais on inclut nos amis acteurs, artistes et concepteurs, dans nos projets.»

S'il profite à fond de son «trip» avignonnais, Emmanuel Schwartz se trouve hyper chanceux de pouvoir faire du théâtre à Montréal. «J'ai une foi presque aveugle en notre milieu, qui est fait de gens formidables qui ont juste l'envie de vivre des expériences communes. C'est ce qui nous lie.»

La vie après la nuit? La reprise de Littoral au CNA en automne, et ensuite la tournée européenne du Sang des promesses, le spectacle à La Chapelle. Après Le Sang des promesses, il a décidé de rester quelques jours en Avignon, pour voir Ciels et aussi parler aux directeurs du Festival de projets futurs.

Pendant la séance de photos, dans une rue exiguë d'Avignon, il se fait accoster encore une fois par de jeunes acteurs français qui lui vouent un culte.

Et l'aimable artiste maudit, sur son nuage flottant, lévite pour rejoindre ses copains et traverser une autre nuit avignonnaise.

Les frais de transport de ce reportage ont été payés par la Délégation générale du Québec à Paris.