Le champagne, on l'aime bien froid. Si froid que, comme le dit l'un des personnages de Le fait du prince d'Amélie Nothomb, «les bulles ont durci. On a l'impression de boire de la poussière de diamants». Voici qui donne le ton/goût du 17e roman en autant d'années de la romancière qui marque la rentrée automnale avec la précision d'un métronome.

Si seulement ce récit aux premières gorgées bien frappées avait tenu ses promesses jusqu'à la dernière goutte/page! Mais, non. On a plutôt l'impression que la bouteille n'a pas été placée dans le seau à glace et que le vin, au moment du dernier verre, était chambré. N'empêche. Les premiers étaient pétillants à souhait. Pas aussi enivrants que l'ensorcelant Ni d'Ève ni d'Adam, formidable cru de l'an dernier, mais de très loin meilleur que la piquette de 2006, Journal d'hirondelle.

Le fait du prince, donc. Un texte qui s'abreuve à l'artère «fiction» de la très belge dame aux drôles de chapeaux et non à sa veine «autobiographique». Une histoire d'usurpation d'identité dont la première gorgée/phrase est si forte que l'on pressent, avec raison, le cul-sec: ce roman se consomme d'un trait. «Si un invité meurt inopinément chez vous, ne prévenez surtout pas la police.» C'est le conseil qu'un inconnu donne à Baptiste Bordave lors d'une soirée. Conseil qu'il aura la chance de mettre en application dès le lendemain. Un homme frappe à sa porte. Peut-il passer un coup de fil? Oui. Il compose. S'effondre. Mort.

Et comme il n'existe pas «vacances plus profondes que de prendre congé de soi-même» - on reconnaît bien là «notre» Amélie, non? -, Baptiste, qui a la vie fade, décide de prendre la place du défunt.

Sa voiture, une Jaguar, s'il vous plaît. Son adresse, à Versailles, rien de moins. Sa villa. Et son épouse, blonde, bien sûr. Bien sûr? Elle accueille l'inconnu avec grâce et un verre de Meursault (un hasard, si le vin porte le nom du narrateur de L'étranger de Camus? Hum...), avant d'enfiler avec lui les bouteilles de champagne. Veuve (Clicquot) mais pas trop, la dame. Qui ignore en fait tout de son nouvel état civil, Baptiste/Olaf se gardant bien de lui révéler le drame.

À partir de là, la table est mise pour une histoire belge. Décalée, donc. Pleine de fantaisie et pétillante d'humour. De mordant sous des dehors de légèreté extrême. On sent la romancière s'amuser. Avec ses personnages. Avec nous, aussi, lecteurs placés de l'autre côté du livre. Que cette fois-ci, contrairement à Ni d'Ève ni d'Adam où elle nous entraînait carrément avec elle sur les flancs d'une montagne japonaise, elle garde là. À distance de page. Sans parvenir à nous immerger complètement dans un récit qui, au bout du compte, nous laisse un peu sur notre soif. En quête de l'ivresse promise. Ou du moins, espérée.

Dommage, avec tout ce champagne...

Le fait du prince

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Amélie Nothomb, Albin Michel, 180 pages, 24,95$