Le groupe Spiritualized, en plein après-midi? S'il peut faire un soleil de plomb aujourd'hui, la pop rock neurasthénique du projet piloté par Jason «Spaceman» Pierce sera dans son élément naturel, galopant dans le grand espace du parc Jean-Drapeau devant le regard contemplatif - et voilé de verres fumés, souhaitons-le - des festivaliers d'Osheaga.

«Jouer dans une salle ou sur une scène extérieure, durant un festival, ça m'importe peu, finalement», explique d'une voix douce Jason Pierce, joint en pleine tournée nord-américaine.

«Ici, comme en Europe, on accorde beaucoup d'importance à ces festivals, avance Jason Pierce. Pourtant, je crois que pour un bon nombre d'entre eux, la musique elle-même est finalement assez secondaire. À mes yeux, c'est vraiment l'aspect fédérateur de l'événement, l'espèce de carrefour social qu'il devient, qui l'emporte sur l'affiche.»

Le musicien poursuit: «Aussi, tu peux jouer dans un trou en Ohio ou en Caroline du Nord, devant 50 personnes et changer la vie de 10 personnes, et jouer en festival devant 50 000 qui ne t'écoutent pas vraiment...»

Cependant, s'il faut en croire les critiques, Spiritualized touche plus qu'une dizaine de personnes à chacun de ses concerts, ce à quoi Spaceman lance cette réplique: «Il ne faut pas croire tout ce qu'on lit; tu devrais le savoir, t'es journaliste!»

Le mot juste

Spirituel, Jason Pierce. Toujours le mot juste, auteur d'une chanson pop d'une grande beauté, articulée dans l'expression de sa modernité comme dans ses références folk américaines qui le suivent depuis la fin de son précédent groupe, l'illustre formation Spacemen 3, dont se réclament aujourd'hui les musiciens post-rock.

Dans ses chansons, le mot juste de Pierce vise à cerner plus ou moins les mêmes thèmes depuis Ladies and Gentleman We Are Floating in Space, l'album qui a mis le nom Spiritualized sur la carte, en 1997. L'amour. La mort. Les drogues.

La mort, surtout. Songs in A & E qu'il nous présente aujourd'hui a majoritairement été enregistré en 2003 et 2004. En juillet 2005, Pierce est tombé gravement malade. Une pneumonie carabinée, séjour prolongé aux soins intensifs - qu'on désigne, en Grande-Bretagne, par Accident and Emergency ward, les A & E du titre de l'album. La mort, il l'a vue de près.

«C'est étrange de parler de ça, ça fait déjà trois ans, commente-t-il. Aussi, je réalise qu'il est impossible de se remémorer une douleur comme ça.» À leur manière, les chansons de Songs in A & E, encore plus fragiles que ce que l'on connaissait de Spiritualized, dépeignent magnifiquement cet état de sursis à travers une musique folk-rock aux orchestrations luxuriantes, aux mélodies simples et poignantes - la chanson Death Take Your Fiddle, avec le bruit d'un respirateur mécanique sous la guitare acoustique, donne des frissons dans le dos, et Baby I'm Just a Fool compte parmi les plus belles du corpus de Spaceman.

«En sortant de l'hôpital, il m'était alors impossible de recommencer à travailler, à faire de la musique. J'étais vidé. En même temps, j'avais tout cet album, composé à la guitare acoustique, presque terminé, et je ne pouvais le laisser inachevé, ça m'aurait rongé jusqu'à la fin de mes jours. J'étais perdu, complètement. C'est Daniel Johnston qui m'a aidé à revenir à la scène.»

Johnston, une inspiration

L'Américain Daniel Johnston est une inspiration avouée pour l'auteur-compositeur-interprète britannique. Tous deux partagent la même passion pour les chansons folk qui déchirent, et un peu d'une vie tumultueuse, bien qu'à des échelles assez différentes Le chanteur folk-rock, qui était en concert chez nous l'année dernière, est atteint de schizophrénie et de bipolarité, conditions qui ont affecté sa vie et son oeuvre, totalement fascinante.

«Parce que Daniel ne réfléchit pas comme la majorité des gens, sa musique est d'une rare pureté. Qu'ils l'admettent ou non, les musiciens mettent les freins à leur inspiration, souvent par pudeur. Pas Daniel. Sa musique est trop honnête. Il est capable de chanter des textes profonds, charmants, émouvants.»

Tout ça s'entend dans Songs in A & E, un album qui n'a rien perdu de sa fraîcheur, trois ans après avoir été enregistré. Un témoignage de la nature intemporelle du travail de Pierce. «Je ne suis pas intéressé par les modes ou les courants musicaux. Je privilégie ce qui vient de l'âme, c'est tout ce qui compte.»