Vittorio Fiorucci, mieux connu sous son seul prénom, s'est éteint avant-hier à l'âge de 75 ans. Aussi coloré et provocateur que ses affiches, éternel bohème, il est sans doute l'affichiste le plus célèbre du Québec, et sa renommée était internationale.

«C'était un gars de party, dit le caricaturiste de La Presse, Serge Chapleau. Mais c'était aussi un grand affichiste. Un personnage plus grand que nature, toujours présent sur la scène montréalaise. Un incontournable. Un têtu, comme tout bon artiste. Il tenait à son style, immédiatement reconnaissable.»

Tout le monde connaît d'ailleurs le bonhomme vert à la langue fourchue que Vittorio a créé pour Juste pour rire. Un bonhomme à qui il aurait aimé faire vivre d'autres aventures.

«C'était impossible, dit Gilbert Rozon. Juste pour rire grossissait, c'était notre marque de commerce. Ou Vittorio nous le vendait, ou bien on changeait de logo. Il a préféré nous le vendre, mais il en a ressenti de la frustration, comme si son personnage n'était plus dans sa vie.»

Rozon, qui s'est réconcilié avec Vittorio il y a deux ans, le décrit comme un personnage rabelaisien, qui avait une importante collection de voitures et de jouets, qui dépensait sans compter, aimait les belles femmes, la fête... «Les nuits de Montréal lui doivent beaucoup, dit-il. C'était aussi un grand artiste.»

Vittorio Fiorucci est né en 1932 en Yougoslavie de parents italiens. À son arrivée à Montréal, en 1951, il ne parlait ni français, ni anglais, deux langues qu'il apprendra très vite. Il a été tour à tour ou en même temps designer, photographe, sculpteur, caricaturiste, illustrateur, auteur de bandes dessinées.

Mais c'est comme affichiste qu'il est le plus connu. On lui doit environ 300 affiches pour le cinéma québécois, le théâtre, les arts visuels, de grandes entreprises et différentes causes humanitaires.

«Il était l'un des plus grands affichistes au monde, dit Danielle Roy, designer et membre de l'équipe Juste pour rire, la voix émue. Il n'a pas eu toute la reconnaissance internationale qu'il méritait. Il avait vraiment choisi d'être affichiste plutôt que peintre ou photographe, ce qu'il a d'ailleurs déjà été. Il aimait cette idée d'être vu dans la rue. Il dessinait tout à main levée, il découpait très proprement. Vittorio attaquait en direct la ligne droite. J'aimais le regarder dessiner. C'était fascinant.»

«Mon art, que certains disent mineur, est sans doute la forme d'expression la plus proche des gens», avait dit Vittorio à Jean-Paul Soulié quand La Presse l'a nommé Personnalité de la semaine, en 2000.

L'affiche lui a permis de participer à de nombreux grands événements, qu'il s'agisse des spectacles de l'Opéra de Montréal ou des manifestations contre l'expropriation des terres à Mirabel. Le secret de sa force: des couleurs franches, contrastées, des formes simples, épurées. Une idée qui tient ça ensemble. De l'audace, et... quelques allusions sexuelles.

«Ne couvrez pas les murs d'affiches ternes, disait-il. Mettez-en une seule, et qu'elle frappe!»

Au cours des dernières années, malgré deux accidents vasculaires cérébraux, il avait accepté de donner une entrevue à La Presse dans sa chambre d'hôpital. «Je suis toujours on the go», avait-il déclaré. Mais comme le disait le bonhomme Juste pour rire à la fin des émissions de télévision du même nom, maintenant, «c'est finiiiii!»

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Avec la collaboration d'Alain De Repentigny