René Lussier a composé de la musique de tous les genres et pour toutes sortes de médias. Au cinéma seulement, sa feuille de route compte une bonne cinquantaine de productions. Sauf qu'avant le «Moulin à images», la création de Robert Lepage qui attire les foules à Québec, personne ne lui avait encore demandé d'écrire pour un bâtiment.

Créer, pour René Lussier, c'est prendre des risques. Considérant l'ampleur du défi posé par la longue série de silos gris de la Bungee, on peut se demander s'il n'en avait jamais pris autant d'un seul coup. C'est que donner vie à ce gigantesque écran de ciment lui a demandé trois ans de recherche et d'efforts. «Je n'ai jamais eu de doute sur l'aboutissement, assure le guitariste. Je travaillais avec une équipe colossale. Mais il reste qu'un projet de cette envergure-là, ça n'avait jamais été tenté.»

Pour donner une idée de la tâche qui l'attendait, rappelons le nombre impressionnant de haut-parleurs installés sur les quais du bassin Louise - 329 - et la quantité pratiquement infinie de points d'écoute différents, lesquels varient sans cesse selon l'endroit où l'on se trouve. À la demande de Robert Lepage, le maître d'oeuvre du «Moulin à images», le dispositif a été conçu pour envelopper littéralement le spectateur. Il compte un couple stéréo suspendu aux lampadaires, trois colonnes situées près des écrans destinées à orienter le regard, une source derrière le public ainsi qu'une série de haut-parleurs de graves installés sous ses pieds. Sept voix au total, donc.

Au milieu d'un tel chantier de création, le compositeur se trouvait le plus souvent plongé dans l'expérimentation la plus pure, cherchant sans cesse à bonifier l'oeuvre, à en ajuster les détails. C'était selon lui comme «s'en aller dans quelque chose sans connaître la nature de l'ensemble». Bref, le chemin à parcourir était long et n'avait rien de très sécurisant. «Synchroniser le son et l'image, j'ai fait ça souvent, en animation ou au cinéma. Mais je n'avais jamais fait de musique pour un bâtiment, surtout pas de cette envergure et de cette forme-là, avec des sons qui viennent de différentes sources. C'est le soin que tu mets et les multitudes de couches de travail sur chaque petit bout qui font qu'à un moment donné, ça devient évident. C'est comme les tours de magie. Ça prend beaucoup de travail pour camoufler les fils.»

Le taux de fréquentation très soutenu enregistré depuis la toute première présentation du «Moulin à images», le 20 juin, montre toutefois que l'équipe de conception dirigée par Robert Lepage a réussi le test. Tout le monde semble y trouver son compte finalement, les créateurs comme le public.

La trame sonore du «Moulin», c'est finalement un heureux mélange de composition pure et d'effets sonores de toutes sortes. René Lussier, qui interprète lui-même les parties de guitare, de basse électrique, d'ukulélé, de différentes percussions et même de trompette du Carnaval, s'est beaucoup amusé à confondre les genres. «Mon but était de faire cohabiter la musique et le montage sonore en cultivant une ambiguïté, pour que le spectateur se trouve tout le temps un peu entre les deux, sans trop saisir où se trouve la frontière.»

Le son, fait-il par ailleurs remarquer, joue beaucoup sur la perception des choses. «Si on l'enlève, il y a encore toutes ces images fantastiques, mais on a soudainement l'impression que ce n'est plus ici que ça se passe, mais là-bas. C'est comme mettre la télé en sourdine. D'un coup, la réalité vient de changer.»

Le «Moulin à images» de Robert Lepage est présenté dans le cadre des fêtes du 400e de Québec, tous les jours à 22h, jusqu'au 24 août. L'entrée est gratuite.