Dany Bédar grattait les fonds de tiroirs aussi frénétiquement que sa guitare acoustique. Vraiment. Son premier album solo, Fruit de ma récente nuit blanche, sorti à la fin février 2002, périclitait dans les palmarès de ventes de CD.

Bûcheur acharné, Dany Bédar jouait ses compositions dans des centres commerciaux de province, des bars à moitié vides et des cafétérias de polyvalente en région. Rien de très glamour, direz-vous.

Puis, le soir du dimanche 30 mars 2003, la fée de Star Académie a agité sa baguette magique au-dessus de la tête de l'ex-bassiste de La Chicane, la recouvrant d'une fine poudre d'or invisible. Sur l'imposante scène des studios Mel's, Dany Bédar un visage peu connu de monsieur et madame Tout-le-Monde a alors harmonisé avec Marie-Mai Bouchard sur la pièce Faire la paix avec l'amour. Pour la première fois de l'histoire de la musique québécoise, l'effet Star Académie frappait et enveloppait un artiste de ses pouvoirs quasi surnaturels.

«Tous les artistes qui passent à Star Académie voient leurs ventes augmenter dans la semaine suivante. Avant Star Académie, Dany Bédar avait vendu 11 000 copies de son album. Sa chanson Faire la paix avec l'amour ne jouait pas à la radio. Le lendemain, les gens appelaient dans les stations pour la réentendre. Et il a fini par vendre 100 000 disques», rappelle Julie Snyder, animatrice et productrice de l'émission phare de TVA.

Janie Duquette, imprésario et productrice de Dany Bédar, parle d'un «moment magique». «Nous allons toujours nous en rappeler. La vie de Dany a changé du jour au lendemain. Ç'a été phénoménal. C'était la bonne toune, chantée avec la bonne personne, au bon moment», explique-t-elle.

Selon Productions J, la compagnie appartenant à Julie Snyder, l'effet Star Académie se manifeste dans les sept jours suivant la prestation d'un artiste au grand gala dominical. En novembre 2005, les ventes de l'album Noël avec Jireh Gospel Choir ont bondi de 1167% dans la semaine suivant le passage de Mario Pelchat aux studios Mel's. Énorme.

Corey Hart a aussi profité du super tremplin de Star Académie: les ventes de Best of Corey Hart' ont escaladé de 650% après sa visite dominicale aux académiciens. Scénario similaire pour Roch Voisine (999% d'augmentation pour Je te serai fidèle), Lara Fabian (hausse de 726% pour En toute intimité) et Jean-Pierre Ferland (appréciation de 603% des ventes de Live Tournée 2000).

Il y a aussi le cas Dennis DeYoung, ex-leader sur le déclin du groupe Styx. Avant Star Académie, sa «tournée» québécoise ne comportait que trois dates. Après son tour de chant chez Julie, boom! , le nombre de ses spectacles a explosé à vingt-sept, dont sept à guichets fermés. Et les ventes de son Symphonic Rock Music ont gonflé de 1000% dans la semaine du 30 octobre 2005.

En plus de «secouer l'industrie au complet», dixit Pierre Marchand, grand patron du Groupe Archambault, l'effet Star Académie ravive également des carrières mises sur le neutre. Selon le concepteur Stéphane Laporte, c'est à la suite de son retour triomphal à Star Académie, en avril 2004, que la grande Marjo, recluse dans sa maison de Saint-Irénée, a repris goût au showbiz. «Son passage l'a convaincue de revenir sur disque avec Turquoise», avance-t-il. (Marjo n'a pas répondu à notre demande d'entrevue pour cet article.)

Situation similaire pour Marie Carmen, exilée au Pérou depuis plusieurs années où elle se consacrait à des oeuvres humanitaires. «Marie avait fait une croix sur sa carrière artistique. Il n'était pas question qu'elle recommence à chanter. Avec Star Académie, elle s'est rendu compte que les gens ne l'avaient pas oubliée. L'émission dispose d'immenses moyens. Tu te sens mis en valeur sur la scène de Star Académie. Tu as l'air d'un grand», glisse l'imprésario et producteur de la chanteuse, Pierre Tremblay.

Résultat? L'interprète de Donne-toi et Faut pas que j'panique concocte présentement un nouveau CD, qu'elle déposera dans les bacs en octobre. «Un passage à Star Académie, c'est sans prix. C'est une visibilité inespérée. En une soirée, on gagne quasiment deux ans de travail de promotion», constate l'attachée de presse Elisabeth Roy, qui a représenté des artistes comme Dan Bigras, Nicola Ciccone et Sylvain Cossette. «Ça fait marcher le catalogue de l'artiste au complet et pas seulement son dernier disque», note Julie Snyder.

Pour Yves-François Blanchet, imprésario d'Éric Lapointe, l'effet Star Académie opère mieux sur des artistes en début de parcours. «Après, leur carrière peut vraiment décoller», indique-t-il.

«Quand tu te présentes devant deux millions et demi ou trois millions de personnes, et que tu fais une bonne prestation, c'est certain que tu vas vendre des albums», analyse Pierre Marchand.

Sans trop le chercher, le groupe Mes Aïeux a profité de la force d'attraction de Star Académie quand un élève de la troisième cuvée, Steve Provost, a interprété Dégénérations pour éviter l'élimination. Le numéro, rythmé par de lourdes percussions, a ensuite été inclus dans la tournée, qui a sillonné le Québec et le Nouveau-Brunswick en février, mars et avril 2006.

«C'est clair que Star Académie a donné un bon boost. Mais le succès de Mes Aïeux a été une question d'alignement des planètes. Avant l'émission, nous avions déjà donné 400 shows, vendu 125 000 copies du disque En famille et Dégénérations tournait beaucoup en région», se souvient Serge Brouillette, imprésario de la formation.

Après Star Académie, les stations montréalaises, récalcitrantes au son trad de Mes Aïeux, ont croulé sous les demandes pour Dégénérations. Ce fut le coup de pouce qui manquait pour pénétrer la forteresse urbaine. «Là, les grandes radios comme Énergie, CKOI, Rock-Détente et Rythme-FM ont embarqué full pin», poursuit Serge Brouillette. Les ventes d'En famille ont progressé à 278 000 exemplaires et Mes Aïeux a raflé quatre Félix au dernier gala de l'ADISQ, dont celui de chanson de l'année, Dégénérations, choisi par le public.

L'effet Star Académie, c'est également remettre le pouvoir entre les mains des téléspectateurs. Autre exemple? Musicor n'avait pas sorti Évangéline en extrait de l'album de Star Académie 2005. «Mais les gens l'ont tellement réclamée à la radio qu' Évangéline a été sacrée chanson de l'année à l'ADISQ», souligne Julie Snyder. «Il y a des fois où c'est le public qui a le dernier mot», philosophe la démone blonde.

«Dans le temps des Beatles, c'était le Ed Sullivan Show. Aujourd'hui, si tu veux lancer un artiste, c'est à Star Académie que ça se passe. En 2003, les ventes de disques ont baissé partout dans le monde, sauf au Québec. L'émission a ramené les gens dans les magasins de disques», souffle Stéphane Laporte.

Malgré les effets bénéfiques de Star Académie, plusieurs artistes résistent encore aux appels de ses sirènes, dont Daniel Bélanger, Ariane Moffatt, Pierre Lapointe, Jean Leloup et Richard Séguin. Craqueront-ils cet hiver?