Tant qu'à aimer les biographies, ce qui est mon cas, pourquoi ne pas lire celles des vraies stars, c'est-à-dire des étoiles de l'intelligence, de la sensibilité, de l'art?

«Cette jeune fille avait tout, la beauté, le talent, une famille qui l'aimait. Elle était la Belle de Montgomery, la fille du président de la Cour suprême d'Alabama. Tout le monde l'admirait et elle pouvait tout se permettre. Mais elle a tout perdu en perdant sa tête. Elle est devenue folle. Et j'en suis passionnément amoureux.» C'est ce qu'a écrit Francis Scott Fitzgerald.

Jacques Tournier a traduit, entre autres, deux romans du meilleur romancier américain de la Génération perdue. Et voici qu'il réussit un pari presque impossible: entrer dans l'histoire de cette femme, et nous la raconter de l'intérieur. Qu'y a-t-il à l'intérieur d'une «psychopathe de constitution, présentant de graves troubles émotionnels» ? Et comment se peut-il, et comment est-ce arrivé?

On peut commencer cette histoire par le début, par la fin, par le milieu... Par exemple dans la clinique du Dr Forel, vers 1930, à Prangins, où Zelda va rester près d'un an et demi, avec parfois des sorties autorisées, tandis que Scott, dont la visite est interdite, rôde autour des grilles, lui envoie des fleurs tous les deux jours, change constamment de chambre d'hôtel, écrit des nouvelles que le Saturday Evening Post va lui acheter encore (mais cela ne peut plus guère durer...). Zelda lui écrit presque tous les jours: Si cher chéri... se terminant toutes par: Je t'aime, chéri. Elle essaie désespérément de guérir (c'est impossible...) Elle fait tout ce qu'on lui demande, elle se plie à tout, des jeux insipides, des rencontres médicales idiotes. Enfin, le 15 septembre 1931, elle quitte Prangins. Après plus de sept ans d'un séjour presque continu en Europe, les Fitzgerald s'embarquent sur l'Aquitania et rentrent en Amérique.

L'Amérique est en crise. Moribonde. En plein marasme économique, à la suite du krach boursier de Wall Street. Zelda se réfugie chez ses parents, à Montgomery (Alabama), au coeur du Sud profond. On propose à Scott d'écrire un scénario, avec un salaire de 1200$ par semaine, mais il lui faudra se séparer de Zelda, se rendre à Hollywood. Restée seule, elle griffonne, avec l'idée qu'un jour elle écrira peut-être un livre dont elle a déjà le titre: Accordez-moi cette valse.

Le fond du problème de Zelda, c'est sans doute la jalousie professionnelle, à l'endroit de Scott, le désir de le supplanter ou au moins de l'égaler, la jalousie littéraire... Mais jamais ce livre ne nous le dira: il va nous le montrer de l'intérieur d'un cerveau dérangé par cette infection comme par d'autres, chimiques et psychologiques. Comprendre, c'est déjà expliquer, c'est déjà excuser. Sans doute. Mais il n'y a rien à excuser: c'est ainsi que cela fut. L'enfance de Zelda, son amour, sa vie avec Scott, tout nous sera montré, et le récit de Tournier se lit comme un roman - un roman qui serait excellent.

Zelda

Jacques Tournier Grasset, Paris, 180 pages, 21,95$