La vente de Vegpro International à des intérêts américains est une nouvelle « décevante » pour plusieurs acteurs de l’industrie agroalimentaire. S’ils auraient préféré que ce « fleuron », connu pour ses mélanges de laitues de marque Attitude, demeure une propriété québécoise, ils ne craignent pas cependant que l’autonomie alimentaire d’ici soit mise en péril au profit d’autres marchés.

« On préfère acheter des entreprises à l’extérieur, plutôt que les entreprises extérieures viennent acheter nos entreprises », a reconnu le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, au cours d’un entretien téléphonique avec La Presse.

« [Mais] ce [ne sont] pas des activités qu’on déplace, ajoute-t-il. Ce sont des productions maraîchères. C’est un marché, d’abord celui du Québec et, après ça, les autres marchés que Vegpro peut avoir. Il y a une partie très importante de l’entreprise qui est ici au Québec, alors il va y avoir une prospérité qui devrait suivre à la suite de cette transaction-là. On l’espère bien. »

Si c’était une entreprise de technologie, à un moment donné, tu peux prendre la technologie et t’en aller ailleurs. Mais là, on parle de produits alimentaires qui sont cultivés chez nous, transformés chez nous.

André Lamontagne, ministre de l’Agriculture

Après avoir entamé des discussions qui auront duré un an, Vegpro, plus grande entreprise de production maraîchère au Québec, est finalement passée aux mains de la firme d’investissement Vision Ridge Partners, dont le siège social se situe au Colorado, à la suite du départ à la retraite du président fondateur, Gerry Van Winden.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Installations de Vegpro International à Sherrington

La nouvelle a été annoncée mercredi aux employés du siège social et de l’usine situés à Sherrington, en Montérégie. Le nouvel actionnaire majoritaire gère un portefeuille de 2,5 milliards US dans les secteurs de l’énergie, du transport et de l’agroalimentaire. Notons que les terres agricoles exploitées par l’entreprise au Québec, en Colombie-Britannique et en Floride ont été exclues de la transaction. Vegpro sera locataire-cultivateur de ces terres, dont la propriété revient à M. Van Winden et Anthony Fantin, nouveau président, également cofondateur de Vegpro et toujours actionnaire minoritaire.

« Les terres sont encore là »

Selon Maurice Doyon, professeur au département d’économie agroalimentaire et des sciences de la consommation de l’Université Laval, cette transaction ne pénalisera pas le marché québécois en matière d’approvisionnement. « Ce n’est pas une usine de fabrication, rappelle-t-il. Il y a des terres agricoles. On nous dit que les terres agricoles ont été exclues de la transaction. Ça change quand même les choses quand on parle d’autonomie alimentaire. Les terres sont encore là. »

« Est-ce qu’on pourrait se retrouver dans une situation où on préférerait alimenter un marché américain avant d’alimenter un marché québécois ? On parle de produits quand même assez périssables », ajoute-t-il.

Je pense que l’intérêt économique, c’est de servir un marché local dans un premier temps. À ce niveau-là, je n’ai pas l’impression que ça va changer grand-chose. C’est plus la notion de centre de décision qui va se déplacer [qui peut changer quelque chose].

Maurice Doyon, de l’Université Laval

Par ailleurs, M. Doyon ne cache pas sa déception « de voir que dans ce cas-ci, on n’a pas réussi à conserver une propriété québécoise ».

Des scénarios comme celui de Vegpro où des firmes d’investissement étrangères mettent le grappin sur des entreprises québécoises risquent de se reproduire, notamment parce que plusieurs propriétaires approchent de l’âge de la retraite, observe le spécialiste. « La démographie est là. Plus l’entreprise est grosse, comme Vegpro, plus le bassin de repreneurs au Québec rapetisse. Et plus le bassin rapetisse, plus il y a de chances que ce soient des capitaux étrangers qui arrivent. » Dans le cas de Vegpro, quatre candidats ont manifesté leur intérêt pour en faire l’acquisition : un Québécois, un Canadien et deux Américains.

Pérennité de l’autonomie alimentaire

Selon Sophie Perreault, présidente-directrice générale de l’Association québécoise de la distribution de fruits et légumes, la vente de Vegpro pourrait en quelque sorte assurer la pérennité de l’autonomie alimentaire du Québec. « Pour moi, l’autonomie alimentaire, ça passe par la pérennité et l’expansion de nos entreprises québécoises », affirme celle qui connaît bien Gerry Van Winden. « Si on veut continuer à nourrir le Québec — c’est ça, l’autonomie alimentaire –, l’injection de ces capitaux va vraiment permettre à l’entreprise de réaliser son expansion. Ce qui est rassurant pour moi, c’est que la direction des opérations, l’expertise maraîchère, la propriété des terres, tout ça, ça reste au Québec, c’est la même équipe. »

Mme Perreault rappelle également que Vegpro exporte déjà aux États-Unis et que M. Van Winden n’a jamais caché ses désirs d’expansion. « Avoir des terres au Canada et aux États-Unis, ça nous permet d’être plus longtemps sur nos tablettes québécoises aussi, parce qu’on peut offrir une plus grande variété de produits plus longtemps. »

Avec la collaboration de Martin Vallières, La Presse