Pendant environ deux ans, Michael Rousseau a siégé au conseil d’administration d’Aveos tout en étant responsable des finances chez Air Canada, principal client du spécialiste de la maintenance. Bien au fait des déboires du fournisseur en 2012, le principal intéressé jure que le transporteur aérien n’a jamais vu venir sa fermeture complète.

« Le scénario le plus difficile que nous considérions à l’époque était une restructuration ordonnée qui permettrait à Aveos de continuer à servir Air Canada, a-t-il raconté, jeudi, à la juge Marie-Christine Hivon, de la Cour supérieure du Québec. Nous n’avons pas planifié un arrêt complet en une journée. »

Actuellement président et chef de la direction d’Air Canada, M. Rousseau témoignait dans le cadre du procès de l’action collective d’au moins 150 millions intentée par d’anciens travailleurs d’Aveos contre le transporteur aérien, dont les audiences en sont à leur deuxième semaine.

Ex-filiale d’Air Canada devenue une entité indépendante au terme d’un processus qui s’est terminé en 2011, la société de maintenance et d’entretien a été présentée, par le témoin, comme une entreprise qui était confrontée à d’importants défis financiers, comme une dette élevée ainsi que des problèmes de productivité.

M. Rousseau a quitté son siège au conseil d’administration d’Aveos à la fin du mois de février 2012, moins d’un mois avant la débâcle de l’entreprise et alors que les relations étaient tendues entre celle-ci et son principal client.

Aurait-il pu divulguer à son employeur des informations jugées privilégies à propos de la situation financière d’Aveos ? Jamais, a plaidé le témoin dans le cadre de son contre-interrogatoire par la poursuite.

« Je ne pouvais pas faire cela directement ou indirectement, a dit M. Rousseau, en réponse à une question où la poursuite a souligné qu’il se trouvait en possession d’informations financières utiles à Air Canada. Il y avait des échanges entre les deux compagnies. »

M. Rousseau a expliqué que le plan stratégique d’Aveos après l’embauche du président et chef de la direction Joe Kolshak en 2011 prévoyait la fin de la maintenance lourde d’aéronefs, des activités jugées non rentables à l’époque, en 2013, à l’échéance du contrat avec Air Canada. Aveos souhaitait se concentrer sur l’entretien de moteurs et de composantes.

Le témoin a affirmé ne pas avoir informé Air Canada de cette stratégie.

Aveos générait plus de 90 % de ses revenus auprès du plus important transporteur aérien du pays. Ses centres de maintenance situés à Montréal, à Winnipeg et à Mississauga avaient brusquement cessé leurs activités en mars 2012. Cela avait ouvert la voie à des recours judiciaires à l’endroit d’Air Canada, à qui l’on reprochait de ne pas respecter la loi fédérale.

Au total, quelque 2600 personnes, dont 1800 au Québec, avaient perdu leur gagne-pain. L’action collective couvre la période allant de l’année des fermetures à 2016, année où le gouvernement Trudeau a accepté de modifier la loi fédérale.

Les plaignants veulent aussi démontrer qu’Air Canada a volontairement provoqué la fermeture de la société de maintenance par ses agissements.

Une autre version

Mercredi, M. Kolshak avait expliqué que sa stratégie, qui visait à accroître et à diversifier le bassin de clients d’Aveos, avait piqué du nez lorsqu’à la fin de 2011, le volume de travail émanant d’Air Canada était en baisse. La crise des liquidités s’était donc amplifiée.

M. Rousseau voyait les choses d’un autre œil.

« Je ne suis pas d’accord, a-t-il dit. Nous ne croyons pas que le volume [de travail retardé] était important. Pour quelques semaines, nous voulions avoir une idée de la direction [d’Aveos]. »

Par ailleurs, il y avait bel et bien plusieurs disputes entre Aveos et son principal client à propos de la facturation, a confirmé M. Rousseau. Encore une fois, son interprétation de la situation était différente du portrait brossé la veille par l’ancien dirigeant d’Aveos.

De l’avis de celui qui était chef des finances d’Air Canada en 2012, le système du spécialiste de la maintenance était « très inadéquat ».

« Nous étions très préoccupés par leur système et nous devions vérifier chaque facture pour nous assurer que tout était en règle, a relaté le témoin. Je me souviens qu’ils nous avaient envoyé une facture qui était complètement déraisonnable compte tenu du travail réalisé. »

Mercredi, M. Kolshak avait reproché à Air Canada de retenir des paiements en raison des litiges, ce qui affectait les liquidités d’Aveos.

Sur ce point, M. Rousseau a répliqué que le processus d’arbitrage prévoyait que le transporteur aérien devait payer la première tranche de 5 millions d’une facture qui faisait l’objet d’un litige, ce qui permettait à Aveos d’obtenir de l’argent.

2016 

Québec et Ottawa avaient accepté de tourner la page sur le dossier Aveos. Air Canada avait alors acheté 45 appareils de la C Series, devenue l’A220 d’Airbus. La commande avait fait l’objet de 12 annulations l’an dernier.