Je ne suis expert ni en économie ni en politique publique. Je suis un citoyen ordinaire qui suit la chose publique. Je suis un père sur qui la grève a des répercussions. J’ai été fonctionnaire fédéral dans une autre vie. Je suis aujourd’hui dans le secteur privé. J’ai des expériences et perspectives diverses.

Je ne suis ni pour ni contre la grève. Ni pour les syndicats ni pour le gouvernement. Comme semblent l’oublier certains Québécois, il s’agit d’enjeux complexes qui dépassent les bons sentiments. Habitant Montréal, je réalise que les enseignants ici peuvent difficilement vivre avec leur salaire. D’un autre côté, j’entends très bien le message du gouverneur de la Banque du Canada disant que le gouvernement du Québec doit limiter à 2 % ses hausses annuelles de dépenses si on veut espérer contrôler l’inflation. Sinon, les hausses de salaire seront probablement à effet nul pour les syndiqués et auront pour effet de tous nous appauvrir collectivement.

Je ne discuterai pas ici de ce que l’on appelle le normatif – les aménagements du travail. J’ai trop de respect pour ceux qui s’y connaissent vraiment, des deux côtés des tables de négociation, pour m’immiscer dans ce débat. Pour la question financière, c’est plus simple pour nous, simple contribuable. Et c’est à ce titre que l’on doit m’expliquer quelque chose : comment une enseignante d’une école à Montréal peut faire le même salaire qu’une enseignante à Saguenay ? Pourquoi, dans notre Québec qui se dit juste et équitable, nous sommes incapables de distinguer égalité et équité ?

Indexation des salaires

Dans le secteur privé, de nombreux employeurs ont des grilles d’indexation des salaires selon le lieu de travail de l’employé. Avec la montée du télétravail, certains employeurs ont même commencé à indexer les salaires en fonction du lieu de résidence d’un employé qui est totalement en télétravail. Certains pourraient y voir rapidement une forme d’injustice et de discrimination : à travail égal, salaire égal. C’est un peu court.

L’indexation des salaires selon le lieu de travail est d’ailleurs implantée dans la fonction publique fédérale américaine depuis plus de trois décennies. Ainsi, un fonctionnaire travaillant à Manhattan reçoit un salaire considérablement plus élevé que s’il occupait le même poste à Omaha, au Nebraska.

J’ai mal à mon Québec quand nos voisins du Sud implantent des mesures plus progressives que les nôtres.

On voit la même chose à l’ONU. Autrement, personne ne voudrait aller travailler dans son siège social de New York ou ses bureaux de Genève, où les coûts de la vie sont parmi les plus élevés au monde.

Au Québec, le coût de la vie varie considérablement d’une région à l’autre. Le marché de l’emploi aussi. Ce qui est considéré comme un salaire juste et attractif à Saguenay ou à Trois-Rivières ne le sera pas à Montréal ou à Fermont.

Selon les loyers médians de 2023 établis conjointement par la Société d’habitation du Québec (SHQ) et la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le loyer médian pour un 4 et demi est de 1745 $ à Montréal, 1375 $ à Québec, 1025 $ à Trois-Rivières et 930 $ à Saguenay. Selon les données du 3e trimestre de 2023 de l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec (APCIQ), le prix médian d’une maison unifamiliale à Montréal est de 555 000 $, alors qu’il est de 352 000 $ à Québec, 310 000 $ à Trois-Rivières et 255 000 $ à Saguenay. Il s’agit d’écarts abyssaux. On parle du simple au double entre Saguenay et Montréal.

Disparités régionales

Ces chiffres officiels confirment ce que nous savons tous. La cousine Sophie, qui travaille comme enseignante dans une école publique de Trois-Rivières, gagne bien sa vie dans les conditions actuelles. Elle a de l’épargne, elle est propriétaire d’une coquette maison largement payée, ses cartes de crédit sont payées et elle se paie un voyage à Punta Cana une fois l’an.

La cousine Marie-Claude, qui travaille comme enseignante dans une école publique de Montréal, en arrache financièrement. Elle vit de paie en paie et s’accroche tant bien que mal à son condo, dont elle n’a plus les moyens de payer l’hypothèque avec la hausse des taux d’intérêt. Pareils exemples de disparités régionales sont légion au sein des autres corps de métiers des salariés de l’État québécois.

Sans indexation des salaires en fonction du lieu de travail, nous sommes condamnés à voir les employés de l’appareil public de certaines régions du Québec en arracher financièrement et déserter le réseau public, alors que leurs collègues d’autres coins du Québec, pour le même emploi et le même salaire, feront partie des privilégiés de leur petit coin.

Petite note aux syndicats : vous devriez aussi réfléchir aux réalités régionales dans l’intérêt de vos membres et, surtout… arrêtez de vous comparer avec la moyenne canadienne lorsqu’il est question de rémunération.

Le Québec est loin d’être dans la moyenne canadienne en termes de coût de la vie. Nous trônons dans les bas-fonds des provinces canadiennes en termes d’IPC. En matière d’immobilier, selon les chiffres d’octobre 2023 de l’Association canadienne de l’immeuble (ACI), le prix moyen des maisons au Québec est de 490 504 $, soit 34 % inférieur à la moyenne canadienne de 656 625 $.

Dans un monde aux ressources collectives limitées, j’en appelle à notre lucidité et à notre sens de l’équité. Nous ne pouvons plus ignorer les disparités régionales lorsqu’il est question de salaire dans les services publics.