Bannir le poste de caissier. C’est le geste qu’a posé David Trudeau-Fournier, copropriétaire des comptoirs de cuisine rapide Ogari San et Gaijin Ramen, en raison de la pénurie de main-d’œuvre et également du manque de motivation de ses employés à occuper cette fonction, ceux-ci préférant plutôt s’activer en cuisine.

Le principal intéressé qualifie lui-même sa décision de « drastique », mais il ne reviendrait pas en arrière.

Ainsi, les clients qui souhaitent se sustenter à l’une des deux stations alimentaires de M. Trudeau-Fournier, situées dans la Pyramide de Sainte-Foy à Québec – où se trouvent bon nombre de restaurants et commerces –, ne font plus affaire avec un humain lorsque vient le temps de commander et de payer leur bol de poulet, de ramen ou autres dumplings, mais plutôt à une borne interactive qui les prendra en charge jusqu’à ce que les cuisiniers leur remettent leur repas.

Bien que plusieurs restaurants fassent appel aux services de ce genre de technologie, il est généralement possible, pour les consommateurs qui le préfèrent, de passer leur commande à un employé derrière une caisse. Ce qui n’est pas le cas aux deux comptoirs de David Trudeau-Fournier.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

David Trudeau-Fournier, copropriétaire des comptoirs de cuisine rapide Ogari San et Gaijin Ramen

« Tout le monde était démotivé à l’idée de faire la caisse. Il y a des gens qui ne voulaient pas rester [employés] pour cette raison-là, raconte le restaurateur au bout du fil. Ça devenait dur de recruter des candidats parce qu’ils [souhaitaient surtout] faire de la cuisine. »

Résultat : en faisant disparaître la caisse, il a besoin de moins de bras et les aspirants employés sont plus motivés à se faire embaucher. Cette décision, un investissement de 15 000 $ pour acquérir trois bornes, lui permet d’« épargner » l’équivalent de 40 heures de travail par semaine.

Il a ainsi pu réduire ses équipes. Le Gaijin Ramen compte actuellement 5 employés, alors qu’ils sont 12 à s’affairer à l’Ogari San.

N’y a-t-il toutefois pas un danger de perdre le contact humain avec le client, un lien valorisé en restauration ? Selon David Trudeau-Fournier, « c’est un mythe qu’être caissier permet d’avoir un contact de qualité avec les clients ».

Pour de vrai, dès que tu es dans le rush, il n’y a pas de contact humain. Tu donnes la commande et tu passes à la prochaine étape.

David Trudeau-Fournier, copropriétaire des comptoirs de cuisine rapide Ogari San et Gaijin Ramen

« [Maintenant], ça nous permet de focaliser sur la qualité de la bouffe. » Depuis l’arrivée des bornes, il y a un an au Gaijin Ramen et en février à l’Ogari, M. Trudeau-Fournier assure que peu de clients sont réfractaires à l’idée de payer et commander à l’aide d’une machine. « Ce qu’ils ne veulent pas, c’est qu’on les abandonne à la borne en cas de problème. » Or, s’il y a un pépin, un employé accourt à la rescousse.

Dans l’éventualité d’une panne ou de problème avec la machine, les clients peuvent commander en ligne avec leur téléphone. À noter que la foire alimentaire où sont situés les comptoirs du restaurateur est très fréquentée par des étudiants plutôt ouverts à ces technologies.

Une tendance ?

Bien qu’il voie une certaine tendance en restauration pour un modèle hybride (borne et caissier), M. Trudeau-Fournier ne croit pas que sa décision d’abolir les postes de caissiers fera boule de neige.

« Je crois qu’il y a beaucoup d’engouement pour une formule mixte actuellement. Pour une formule aussi draconienne que la nôtre, je ne suis pas certain », reconnaît-il.

À l’Association Restauration Québec (ARQ), le vice-président aux affaires publiques Martin Vézina qualifie de « très novateur » ce choix d’abolir les caisses. Difficile de savoir si les comptoirs de David Trudeau-Fournier sont les seuls au Québec à fonctionner uniquement avec des bornes, mais selon M. Vézina, ils sont probablement peu nombreux.

« Je crois que la restauration est dans une phase de transition, ajoute pour sa part le restaurateur de Québec. Il y a vraiment eu un culte du service à la clientèle, que c’était la priorité. Là, je pense que le service à la clientèle va devenir une moins grande priorité. Les employés n’acceptent plus de se faire marcher sur les pieds pour n’importe quoi sous prétexte que le client a toujours raison. Je crois aussi que la priorité des gens va être ailleurs : connaître la provenance de sa nourriture plutôt que de se la faire servir avec un beau grand sourire. »