Les détaillants alimentaires vivent une période caractérisée par les contrastes. L’enthousiasme des actionnaires face aux profits pharaoniques n’a d’égal que la grogne du grand public devant des hausses de prix répétées.

Il est vrai que les soupçons de collusion et de fixation de prix auxquels font face de grands détaillants et certains manufacturiers alimentent le scepticisme des ménages face à l’industrie. Il est aussi vrai que le retrait récent de grandes marques telles Delissio et Kleenex devrait faire réfléchir tous les acteurs quant à l’attractivité d’un pays aux coûts de transport élevés, au marché de détail consolidé où le manufacturier est d’abord vu comme un concurrent de la marque privée avant d’être un partenaire favorisant la variété et la multitude des offres au consommateur.

Face à cette industrie depuis longtemps oligopolistique, on doit évidemment souhaiter la vigilance opportune du Bureau de la concurrence, mais également accueillir toute intensification de la concurrence comme une bouffée d’air frais.

Heureusement, le consommateur devrait être au moins partiellement rassuré par la présence dérangeante et bien visible de réseaux alternatifs aux trois géants de l’alimentation. Une saine concurrence, grâce à la disponibilité de solutions de rechange à quelques pas de chez soi ou en ligne, sert avant tout le consommateur.

À ce chapitre, la pénétration et l’attrait de Costco, Dollarama et plusieurs enseignes locales sont bien connus. Leur présence ne fait cependant pas l’unanimité, surtout pour les chaînes de magasins à 1 dollar que des politiciens et chroniqueurs accusent de tous les maux. Dernièrement, on pouvait lire que notre société cheminerait tragiquement vers les abîmes d’une « cité du dollar », symbole de la « paupérisation des masses ».

Signe d’un décalage entre cette pensée mondaine et la réalité du grand public, les stationnements sont continuellement achalandés chez ces détaillants, avec de nombreuses voitures dernier cri loin de suggérer un état de mendicité du propriétaire.

Dans le monde réel, lorsqu’on a un budget à boucler et une inflation galopante à affronter, les enseignes à bas prix représentent une des solutions de rechange principales aux détaillants traditionnels.

Par ailleurs, il est vrai qu’aux profits impressionnants des grands détaillants s’ajoutent parfois les flagorneries et insouciances médiatisées de quelques hauts dirigeants qui ne font rien pour rétablir la confiance des ménages et donner bonne presse à l’industrie.

Les salaires des dirigeants qui doublent alors que le pouvoir d’achat des employés s’étiole, l’indécence d’achats de terrains qui soustraient des sites écologiques aux intérêts publics, des soupçons d’exploitation de travailleurs dans les pays du tiers-monde, le monde du commerce au détail doit-il se mettre à la recherche du remède contre les crises d’éthique qui l’accablent ?

Je ne peux m’empêcher d’évoquer une formation de dirigeants où on nous suggéra d’agir continuellement comme si chacune de nos actions allait se retrouver dans les grands titres des journaux. Il ne s’agissait pas de viser la supériorité morale ou la béatification de chacune de nos initiatives via une campagne de communication aussi emphatique qu’éphémère, mais simplement d’agir dans la mesure où nos actions respectent les règles et démontrent une préoccupation pour autrui, un comportement de bon citoyen, aussi responsable que prudent.

Sur le terrain, la concurrence reste nécessaire et continuera d’être l’alliée des ménages de tous horizons. Elle est possiblement en meilleure santé que ce qu’on en dit, et fait résolument partie de la solution lorsqu’on fait le tri entre ce qui nous enrichit et nous dépouille.

Dans l’agroalimentaire, elle nécessite d’abord la vigilance du Bureau de la concurrence comme chien de garde. Son efficacité, souvent remise en doute, est nécessaire pour corriger les uns et dissuader les autres.

On doit aussi maintenir la libre circulation de l’information sur les prix permettant au consommateur des choix éclairés. Finalement, face à des chaînes d’approvisionnement mondiales, l’industrie et les gouvernements doivent assurer un climat de saines négociations entre détaillants et manufacturiers, particulièrement en implantant des mesures structurantes afin d’accroître l’accès aux rayons pour les produits faits chez nous.