Trop tôt ou trop tard… Certaines prouesses technologiques ont été réalisées au mauvais moment. Cet été, nous relatons quelques-uns de ces malheureux exploits dans le secteur du transport. Un petit voyage dans le temps…

Lancé en 1936, le dirigeable Hindenburg, plus grand aéronef de l’histoire, promettait de traverser l’Atlantique en un temps record et dans le plus grand confort. L’ascension du plus léger que l’air a pris fin abruptement avec l’accident qui a coûté la vie à 36 personnes, en 1937.

C’est une des images d’actualité les plus célèbres du XXe siècle : le 6 mai 1937, le dirigeable allemand Hindenburg s’embrase au moment de s’accrocher à sa tour d’amarrage, au New Jersey. Transformé en torche, il s’écrase avec une lente et tragique majesté, entraînant la mort de 36 personnes.

Le Hindenburg était alors l’aéronef le plus impressionnant et le plus perfectionné de la planète.

La traversée de l’Atlantique sur le rapide paquebot Queen Mary durait près de cinq jours. Le Hindenburg reliait Francfort à Lakehurst, au New Jersey, en 60 heures.

Les passagers témoigneront d’une traversée ouatée, sans mal des transports, à peine troublée par le vrombissement des moteurs, accrochés loin derrière.

PHOTO ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le 6 mai 1937, le dirigeable Hindenburg s’écrase en flammes dans le New Jersey, devant les caméras et appareils photographiques des médias.

Les morts du 6 mai 1937

13 des 36 passagers

22 des 61 membres d’équipage et observateurs

1 membre de l’équipe au sol

Un paquebot volant

Parler de paquebot aérien n’est pas exagéré. Le vaisseau s’étirait sur 245 mètres, seulement 24 de moins que les 269 mètres du Titanic.

Ses 32 cabines, les salons et la salle à manger étaient répartis sur deux niveaux, dans la partie inférieure de la structure.

  • La salle à manger du Hindenburg. Les images en couleurs sont des cartes postales d’époque détenues par Dan Grossman, historien de l’aviation qui tient le site airships.net.

    PHOTO AIRSHIPS.NET COLLECTION

    La salle à manger du Hindenburg. Les images en couleurs sont des cartes postales d’époque détenues par Dan Grossman, historien de l’aviation qui tient le site airships.net.

  • La salle à manger du Hindenburg

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    La salle à manger du Hindenburg

  • Le salon du Hindenburg. Les images en couleurs sont des cartes postales d’époque détenues par Dan Grossman, historien de l’aviation qui tient le site airships.net.


    PHOTO AIRSHIPS.NET COLLECTION

    Le salon du Hindenburg. Les images en couleurs sont des cartes postales d’époque détenues par Dan Grossman, historien de l’aviation qui tient le site airships.net.

  • La salle de lecture du Hindenburg

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    La salle de lecture du Hindenburg

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Les aménagements incluaient une salle de lecture, un fumoir isolé à pression contrôlée, des toilettes et une douche. Pour plus de légèreté, le mobilier était fabriqué en tubes d’aluminium – même le piano à queue de bord était fait de ce métal.

Les fenêtres, inclinées pour s’intégrer dans le profil de la carène, procuraient une vue vertigineuse sur le sol qu’il survolait à 200 mètres d’altitude.

Son constructeur, la Luftschiffbau Zeppelin, avait été fondé en 1908 par un vieil aristocrate allemand dont le nom sera donné à cette classe de ballon à structure rigide, un nom repris plus tard par un groupe qui s’est élevé dans la stratosphère du rock.

Un long ballon de football

Les ballons dirigeables – donc capables de se mouvoir dans la direction voulue en dépit du vent – ont fait leur apparition avec l’invention du moteur à explosion, à la fin du XIXe siècle. Ils ressemblaient alors à un ballon de football rempli d’hydrogène, sous lequel était suspendue une nacelle de pilotage. Le comte Ferdinand von Zeppelin, un militaire de carrière né en 1838, était convaincu que leur succès dépendait de leur taille, et il a décidé de s’attaquer lui-même au défi.

PHOTO PAR THEODOR HILSDORF, DOMAINE PUBLIC

Le comte Ferdinand von Zeppelin en 1915

Soutenu par une petite subvention de l’empereur Guillaume II, plus l’aluminium et quelques fonds fournis par l’industriel Carl Berg, il a fondé une petite société en mai 1898 et s’est entouré d’une poignée de talentueux ingénieurs.

Sous sa direction, ils ont conçu une structure métallique légère et profilée, constituée de longerons longitudinaux reliés par des anneaux périphériques. Recouverte d’une toile qui formait sa carène, cette structure retenait des ballonnets remplis d’hydrogène, un gaz plus léger que l’air qui présentait toutefois le sérieux inconvénient d’être hautement inflammable en présence d’oxygène.

Le premier zeppelin

Von Zeppelin a construit un gigantesque hangar sur les rives du lac de Constance et y a assemblé son premier zeppelin long de 128 mètres. Le LZ 1 a effectué son premier vol en juillet 1900 sous les yeux de 12 000 témoins ébahis. Trop fragile, il a été endommagé lors de tests menés en octobre, ce qui a mis fin à l’aventure.

PHOTO FOURNIE PAR LA LIBRARY OF CONGRESS, DOMAINE PUBLIC

Le premier dirigeable de Zeppelin, le LZ1, lors de son premier vol au-dessus du lac de Constance, le 2 juillet 1900

De nouveau soutenu par Carl Berg, von Zeppelin a lancé en 1905 la construction d’une série d’aérostats plus solides et mieux motorisés. Le LZ 2 a été détruit au sol par une tempête. Le LZ 3 a volé avec succès, mais le LZ 4, dont les essais devaient lui garantir des contrats gouvernementaux, a brûlé en 1908, ruinant son entreprise.

L’intérêt du public et la fierté nationale avaient toutefois été titillés. Avec les dons qui affluaient, le vieux comte a regonflé son compte en banque et lancé une nouvelle société en 1908 : la Luftschiffbau Zeppelin.

Pour rentabiliser ses appareils, il a fondé en 1909 la première compagnie aérienne de passagers de l’histoire, la Deutsche Luftschiffahrts-Aktiengesellschaft (DELAG).

Entre 1910 et le début de la Première Guerre mondiale, les quatre zeppelins de DELAG ont transporté quelque 34 000 passagers sur plus de 1500 vols, dont 10 197 ont payé leur passage. Il n’y a eu aucun blessé.

Source : airships.net, site tenu par l’historien de l’aviation Dan Grossman, coauteur de l’ouvrage Zeppelin Hindenburg, an Illustrated History of LZ-129

Même si Zeppelin rêvait de transport civil, son principal client devint bientôt le gouvernement allemand. Ses dirigeables, d’observation d’abord et de bombardement ensuite, sèmeront la terreur dans le ciel anglais durant la Première Guerre mondiale.

PHOTO FOURNIE PAR LA LIBRARY OF CONGRESS, DOMAINE PUBLIC

Hugo Eckener en 1924. Il a pris la direction de l’entreprise de Ferdinand von Zeppelin en 1917.

Le vieux comte est mort en 1917. Le DHugo Eckener a alors pris les commandes de la Luftschiffbau Zeppelin.

Le LZ 127 Graf Zeppelin

Lancé en 1928, le LZ 127, baptisé Graf Zeppelin, mesurait 237 mètres de longueur, transportait 20 passagers et maintenait une vitesse de croisière de 115 km/h, autant qu’un train express.

Durant ses neuf années de service ininterrompu, soit l’équivalent de presque deux ans en vol, il a franchi 1,7 million de kilomètres et transporté 13 110 passagers sans encombre. Très souvent commandé par Hugo Eckener lui-même, le Graf Zeppelin a effectué 144 traversées transocéaniques, dont 64 vols vers l’Amérique du Sud, a réalisé un tour du monde et a fait une expédition polaire.

PHOTO DU DOMAINE PUBLIC

Le dirigeable Hindenburg en cours de construction dans son hangar

Le Hindenburg

Le projet du LZ 129, futur Hindenburg, a été lancé à la fin de 1930. Les concepteurs allemands entrevoyaient un dirigeable gigantesque, dont la taille lui permettrait d’accueillir une quantité suffisante d’hélium, un gaz ininflammable mais rare, qui procure 90 % de la sustentation de l’hydrogène.

Cependant, après l’arrivée au pouvoir de Hitler, les États-Unis, seuls producteurs, refusaient de vendre à la Zeppelin la moindre molécule du précieux gaz inerte.

Hugo Eckener était rétif devant les exigences de la propagande nazie. Il a perdu pratiquement toute influence dans l’entreprise quand Hermann Goering, ministre de l’Aviation, a détaché la DELAG de la Luftschiffbau Zeppelin en 1935 pour fonder la compagnie aérienne Deutsche Zeppelin-Reederei (DZR). Les essais en vol du Hindenburg, gonflé à l’hydrogène, ont été abrégés pour lui permettre de faire des vols promotionnels.

Le drame de Lakehurst n’y sera peut-être pas étranger.

  • Une des cabines de passagers à bord du Hindenburg

    PHOTO AIRSHIPS.NET COLLECTION

    Une des cabines de passagers à bord du Hindenburg

  • Une des cabines de passagers à bord du Hindenburg

    PHOTO AIRSHIPS.NET COLLECTION

    Une des cabines de passagers à bord du Hindenburg

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Le Hindenburg en chiffres

  • Longueur : 245 m
  • Diamètre : 41,2 m
  • Volume de gaz : 200 000 m⁠3
  • Vitesse de croisière : 125 km/h
  • 4 moteurs Daimler Benz à 16 cylindres
  • 40 officiers et hommes d’équipage
  • De 10 à 12 agents de bord et cuisiniers
  • 72 passagers (1937)
  • 32 cabines (1937)

Source : airships.net

La catastrophe

En 1936, le Hindenburg avait transporté 1002 passagers en 10 voyages aller-retour. Le drame est survenu à la deuxième traversée de la saison 1937. À son arrivée au New Jersey, le temps était humide et orageux, donc propice à l’accumulation d’électricité statique sur la toile imperméabilisée de l’aérostat. Il a pris feu lorsque ses câbles d’amarrage ont touché le sol.

  • Le dirigeable Hindenburg dans son hangar, probablement en 1936

    PHOTO BANQ, FONDS LA PRESSE

    Le dirigeable Hindenburg dans son hangar, probablement en 1936

  • Illustration d’époque montrant les aménagements intérieurs du Hindenburg

    PHOTO BANQ, FONDS LA PRESSE

    Illustration d’époque montrant les aménagements intérieurs du Hindenburg

  • Des passagers prennent leurs aises dans le salon du Hindenburg, en 1936. Au fond, un piano en aluminium, pour plus de légèreté.

    PHOTO BANQ, FONDS LA PRESSE

    Des passagers prennent leurs aises dans le salon du Hindenburg, en 1936. Au fond, un piano en aluminium, pour plus de légèreté.

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Bien que des rumeurs de sabotage aient circulé, l’explication la plus probable demeure une fuite d’hydrogène sur un des ballonnets de gaz situés à l’arrière, qui se serait enflammé ensuite en raison d’une décharge d’électricité statique.

Certains estimeront que l’équipage, soucieux de rattraper un retard peu flatteur pour le régime nazi, n’a pas respecté les sévères consignes de sécurité instaurées par Hugo Eckener.

La fin du plus léger que l’air

À la suite du désastre, le Graf Zeppelin LZ 126 a été retiré du service. Le LZ 130, frère jumeau du Hindenburg dont la construction devait être terminée en octobre 1937, ne pouvait être converti à l’hélium en raison de l’embargo américain. Ils ont été démantelés au début de la Seconde Guerre mondiale pour en récupérer le métal. À la fin du conflit, la Luftschiffbau Zeppelin est entrée en dormance. Elle le restera pendant un demi-siècle.

Le retour

Mais tout n’était pas dit.

PHOTO TIRÉE DU SITE ZEPPELINFLUG.DE

Zeppelin NT, un dirigeable semi-rigide de 75 mètres qui peut transporter une douzaine de passagers, est entré en service en août 2001.

La Luftschiffbau Zeppelin, réanimée, a participé en 1993 à la création de la société Zeppelin Luftschifftechnik, vouée au développement de dirigeables de nouvelle technologie. Son Zeppelin NT, un dirigeable semi-rigide de 75 mètres pouvant transporter une douzaine de passagers, est entré en service en août 2001.

PHOTO TIRÉE DU SITE D’HYBRID AIR VEHICLES

Illustration du dirigeable hybride Airlander 10 d’Hybrid Air Vehicles, survolant le Royaume-Uni

Au Royaume-Uni, la Hybrid Air Vehicles (HAV) a fait décoller en 2016 son dirigeable hybride Airlander 10 – un appareil qui sera en mesure d’accueillir jusqu’à 100 passagers, soutient l’entreprise. En 2022, elle a annoncé un accord avec la compagnie aérienne espagnole Air Nostrum pour la réservation de 10 de ses dirigeables à zéro émission.

PHOTO BANQ, FONDS LA PRESSE

Le dirigeable britannique R100 survole ce qui s’appelait alors le pont du Havre, à Montréal, en août 1930.

Le Québec participe lui aussi à la renaissance des dirigeables. Le gouvernement provincial a investi dans la filiale locale de Flying Whales, une société française qui souhaite en concevoir et les destiner au transport de marchandises vers des régions éloignées.