« Vous partez en mission de sauvetage, affirme Christian Boucousis. Un de vos collègues, envoyé en reconnaissance, a été abattu. Maintenant, il faut aller le chercher derrière les lignes ennemies et le ramener. »

M. Boucousis, ex-pilote de chasse, dirige la société Afterburner, qui promet d’enseigner « la précision et l’exactitude des aviateurs militaires d’élite » aux entreprises. Afterburner a travaillé avec Nike, Pepsi, Bank of America et bien d’autres marques qui n’ont pas comme souci de sauver des frères d’armes abattus par des avions ennemis. Leurs problèmes ? La concurrence, la pression des actionnaires, la rotation du personnel.

Mais certains PDG trouvent excitant de piloter autre chose qu’une chaise de bureau et de se sentir durant quelques heures comme Tom Cruise dans son F-18 Super Hornet dans le film Top Gun : Maverick. Même si ce n’est pas donné : la formation « Top Gun » d’Afterburner décolle à 10 000 $ pour une petite équipe ; le prix prend vite de l’altitude, à 100 000 $ pour un groupe plus important.

Si vous perdez de vue l’avion ennemi, vous perdez. C’est une métaphore : si vous perdez de vue vos objectifs commerciaux, vous ne les atteindrez pas.

Christian Boucousis, ex-pilote de chasse, qui dirige la société Afterburner

Des métaphores, il y en a plein dans ce genre de séminaire : le bureau est un champ de bataille ; poser l’avion dans un trimestre difficile ; fouetter les troupes pour le lancement d’un produit…

PHOTO MARINE AMÉRICAINE

Pour certains PDG, le travail, c’est la guerre. Pour répondre à ce sentiment, l’ère de la formation au leadership « Top Gun » est arrivée. Ci-dessus, un F-18 Super Hornet comme celui utilisé dans le film Top Gun : Maverick.

Pour certains PDG, le travail, c’est la guerre. Pour répondre à ce sentiment, l’ère de la formation au leadership « Top Gun » est arrivée.

Retour aux valeurs plus conservatrices

De nombreux patrons ont réagi à l’incertitude des dernières années – main-d’œuvre, télétravail, conjoncture – par une approche plus douce et plus sensible dans les salles de réunion. Certains ont encouragé la discussion sur les questions de santé mentale au bureau. Un PDG a même publié sur LinkedIn un égoportrait le montrant en pleurs après avoir licencié deux employés (la réaction des réseaux sociaux lui a fait regretter cette décision).

D’autres ont choisi l’inverse, adoptant un nouveau style de machisme d’entreprise. Elon Musk a défié Mark Zuckerberg dans un combat en cage ; M. Zuckerberg, qui s’entraîne au jujitsu brésilien depuis 18 mois, a texté le président de l’UFC pour savoir si M. Musk était sérieux.

PHOTO TIRÉE DU SITE D'AFTERBURNER

La société Afterburner promet d’enseigner « la précision et l’exactitude des aviateurs militaires d’élite » aux entreprises.

Le bureau a longtemps été un lieu où s’affichait une certaine agressivité : cris, jurons, cambistes arpentant la salle des marchés avec un bâton de crosse. Ces pratiques ont été réexaminées avec le changement de mentalité favorisant la diversité et l’inclusion. Mais en période de pression économique, l’agressivité peut revenir en force, selon certains experts en gestion.

« Les patrons tentent de retrouver le sentiment de contrôle qu’ils estiment avoir perdu ces dernières années », explique Cali Williams Yost, consultante en comportement organisationnel. « Ils cherchent à réaffirmer leur pouvoir d’une manière qui leur est familière. »

À l’embauche, les entreprises ont toujours valorisé l’expérience militaire. Depuis des décennies, Hollywood présente les chefs militaires comme l’incarnation de la force. Mais aujourd’hui, les patrons se mettent carrément dans la peau de militaires. Pour former les cadres à réagir à l’incertitude et au changement, des centaines d’entreprises américaines se tournent vers des programmes peu orthodoxes qui s’inspirent de l’aviation de chasse, de principes militaires et même des techniques d’arrêt au stand de NASCAR.

Les femmes peuvent participer, mais la plupart des entreprises qui offrent ces formations à leur personnel sont dirigées par des hommes. Cela préoccupe des experts en gestion, selon qui les travailleurs recherchent des leaders plus empathiques, pas hyperagressifs. La part des entreprises du Fortune 500 dirigées par des femmes a franchi la barre des 10 % cette année.

D’après moi, ça ne correspond pas à ce que la plupart des gens disent rechercher chez un leader, c’est-à-dire humanité, empathie et collaboration.

Cali Williams Yost, consultante en comportement organisationnel

Le consultant en formation Jocko Willink, ancien commando de la marine américaine, n’est pas surpris que l’incertitude économique pousse les entreprises à repenser leur style de gestion, parfois à l’extrême.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE JOCKO WILLINK

Le consultant en formation Jocko Willink, ancien commando de la marine américaine, propose des ateliers et des retraites inspirés de son expérience militaire.

« La pandémie a révélé le besoin d’une meilleure direction, dit M. Willink. Quand les gens ne viennent plus au bureau et qu’on ne les voit plus tous les jours, il faut décentraliser le commandement. C’est une loi classique du commandement au combat. »

Pas sûr que l’expérience militaire s’applique à la réalité des entreprises, nuance Melissa Nightingale, cofondatrice de la société de formation en gestion Raw Signal Group. « Cette formation est-elle censée être amusante ? Faire une belle photo ? Ou est-elle censée avoir un vrai impact ? »

Environ 75 % des initiatives de développement professionnel font patate.

Melissa Nightingale, cofondatrice de la société de formation en gestion Raw Signal Group

Pourtant, le machisme managérial continue de se propager, les entreprises cherchant à former leurs employés loin de l’écran Zoom. Par exemple, dans un stand de course automobile.

À Raleigh, en Caroline du Nord, Constellation Digital Partners, une société de technologie financière, a réuni ses employés – pour certains, c’était la première rencontre en personne – pour simuler un arrêt aux puits durant une course automobile. La formation est offerte par la société Over the Wall, créée par un ex-chef d’équipe d’arrêt aux puits en NASCAR, Andy Papathanassiou. Il exige au minimum 10 000 $, et le tarif augmente avec la taille du groupe et le temps de formation.

PHOTO TIRÉE DU BLOGUE D’OVER THE WALL

Pour susciter l’esprit d’équipe, certaines entreprises organisent des ateliers de formation où on simule le changement de pneus lors d’un arrêt aux puits durant une course automobile du circuit NASCAR.

Les quelque 30 employés de Constellation se sont réunis dans le stationnement du bureau autour d’une voiture de course verte. Ils ont dévissé les écrous de roue à l’aide d’une clé à air, changé le pneu pesant 25 kg, revissé les écrous. Couverts de sueur, de crème solaire et de graisse, ils avaient l’air des équipiers de Tom Cruise dans le film Jours de tonnerre.

« Ç’a l’air idiot, mais le plus dur, c’est de mettre le pneu en place », explique Kris Kovacs, PDG de Constellation.

Ça vous apprend qu’il faut planifier à l’avance. Les choses difficiles deviennent plus faciles si on planifie et on s’entraîne.

Kris Kovacs, PDG de Constellation Digital Partners

Dans les mois ayant suivi la formation, M. Kovacs a constaté que son personnel communiquait mieux. Ils avaient appris comment partager entre eux leurs points faibles.

« Vous pouvez faire toutes sortes d’affaires spirituelles comme se laisser tomber par en arrière et se faire attraper par les collègues » pour développer la confiance, dit M. Kovacs. « Ou vous pouvez vous salir les mains avec votre équipe en changeant des pneus sur une auto de NASCAR. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

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