« Attendu que la Fédération des travailleurs du Québec a proposé que soit constitué un fonds d’investissement destiné principalement à favoriser le maintien et la création d’emplois, à stimuler l’économie et à contribuer à la formation des travailleurs et des travailleuses en matière d’économie. »

Nous sommes le 23 juin 1983. L’horloge de l’Assemblée nationale est arrêtée pour permettre l’adoption à l’unanimité de la Loi constituant le fonds de solidarité des travailleurs du Québec avant l’ajournement de ses travaux.

M. Lévesque et Robert Dean, député de Prévost et parrain de la loi, avaient été bouleversés par la terrible crise économique que le Québec venait de traverser. Pour eux et pour Louis Laberge, président de la FTQ et toujours proche de son monde, c’était une belle journée.

PHOTO PAUL-HENRI TALBOT, ARCHIVES LA PRESSE

De gauche à droite : Claude Blanchet, Louis Laberge et Fernand Daoust en novembre 1983

Pour moi et mes collaborateurs de la Société de développement des coopératives aussi. Avec une toute petite équipe en qui j’avais une grande confiance, nous avions concocté un projet sans précédent : unir les travailleurs au destin économique de leur société.

Au début de l’année, j’avais présenté à grands traits notre projet à Jean-Guy Frénette, un étroit collaborateur du président de la FTQ. Il savait que Desjardins avait refusé de s’y associer, mais il m’a tout de même demandé de le présenter aux dirigeants de la centrale syndicale. En réalité, le projet lui souriait, mais l’idée d’associer des travailleurs syndiqués à la création d’une nouvelle institution financière était radicale et il tenait à se valider avant de faire le grand saut.

Mi-février, armés de nos graphiques, de nos projections et d’une présentation audiovisuelle, nous sommes arrivés confiants, mais nerveux à la réunion des instances de la FTQ qui se tenait dans les Laurentides. Il n’a pas fallu longtemps à M. Laberge pour créer un large consensus et surmonter les quelques résistances qu’il percevait. Sa réponse démontre son enthousiasme : « Peut-on faire breveter cette idée ? ».

Peu de temps après, il m’a sondé pour vérifier mon intérêt à devenir le premier président-directeur général du Fonds. Avant d’accepter de me porter candidat à ce poste que j’ai occupé de 1983 à 1997, je lui ai fait part de mes préoccupations. J’hésitais, je voulais m’assurer que tout en respectant les objectifs sociaux et économiques du Fonds, la nouvelle institution soit dirigée avec une grande discipline financière et que sa direction soit autonome dans sa gestion.

En novembre, la FTQ a annoncé ma nomination. Avec quelques-uns de mes principaux collaborateurs, dont Denis Dionne, concepteur du plan d’affaires, Pierre Laflamme et Maurice Prud’homme, nous avons quitté la Société de développement des coopératives pour nous installer à Montréal dans des bureaux vides. Tout, absolument tout, était à faire. Il fallait rapidement compléter l’équipe de direction. J’ai eu la chance de rassembler une équipe de personnes exceptionnellement talentueuse, notamment Normand Caron qui a construit notre réseau de responsables locaux, Louis Fournier, Jean Martin, Louise Sanscartier et Carole Parent.

Avec détermination nous nous sommes mis au travail. M. Laberge nous a toujours soutenus quand certains acteurs importants de la Centrale syndicale tentaient de s’immiscer dans notre gestion quotidienne. Après l’expérience d’autogestion de Tricofil, une entreprise de Saint-Jérôme qui a fermé ses portes en 1982, je tenais à éviter que, pour sauver des entreprises, nous dilapidions les économies des travailleurs. Je n’aurais jamais accepté de participer à cette aventure sans un accord formel sur ce principe.

Nous avons réussi à surmonter le scepticisme. Dès les premières années, nos objectifs les plus ambitieux ont été dépassés. Aujourd’hui, avec son réseau de plus de 3500 entreprises partenaires et un actif de plus de 18 milliards de dollars, le Fonds de solidarité est bien présent dans toutes les régions du Québec. Les observateurs et les analystes financiers sont unanimes : le Fonds joue un rôle déterminant dans la vitalité de notre économie.

Quarante ans après sa création, on parlera beaucoup de l’importance économique du Fonds sans oublier de mentionner qu’il permet déjà à plus de 100 000 Québécois de vivre une retraite plus confortable.

Tout cela sera invoqué, mais il y a peut-être quelque chose de plus fondamental qui sera oublié. Au moment de la naissance du Fonds, les relations entre les travailleurs et le milieu patronal étaient teintées de préjugés et les tensions étaient vives. La mention de la formation des travailleurs et travailleuses en matière d’économie n’avait pas été invoquée dans la loi sans raison.

Dès sa création, sur le terrain, des travailleuses et des travailleurs rejoignent l’équipe du Fonds et sont formés pour rencontrer leurs anciens collègues. L’éducation économique, que ce soit en matière de retraite ou de compréhension de la réalité économique de leur entreprise et de leur région, est au rendez-vous.

Le bilan est impressionnant. En confiant une part de leurs économies au Fonds, aujourd’hui il y a 750 000 actionnaires du Fonds qui sont devenus responsables de leur autonomie financière et des acteurs du développement de l’économie québécoise.

Je tiens à souligner que le volet éducatif ne s’est pas arrêté aux travailleurs. Les entreprises partenaires du Fonds ont elles aussi beaucoup appris. Elles sont devenues plus sensibles à leur rôle social et conscientes de l’importance de respecter les droits et intérêts des travailleurs.

Grâce au Fonds, au Québec, un terrain propice à la concertation est bien en place. Les intérêts des uns et des autres peuvent diverger, mais beaucoup de préjugés sont disparus ou atténués. Le Fonds de solidarité a tenu toutes ses promesses et cette institution québécoise unique au monde est solidement établie.

Monsieur Lévesque, Robert Dean et Louis Laberge seraient très fiers du chemin que nous avons parcouru ensemble. S’ils étaient ici aujourd’hui, ils nous encourageraient à continuer et nous fixeraient sans doute rendez-vous pour le cinquantième.