Revenu Québec compte resserrer les règles d’éthique imposées à ses employés clés lorsqu’ils partent pour aller travailler au privé, explique la PDG de l’agence. Mais pour l’opposition, les mesures qu’elle évoque représentent « le minimum ».

La patronne du fisc, Christyne Tremblay, a évoqué les changements à venir mardi lors de l’étude des crédits budgétaires, accompagnée du ministre des Finances, Eric Girard.

« On parle par exemple de nos gens qui travaillent dans les planifications fiscales agressives, a-t-elle expliqué. On pourrait avoir pour eux des déclarations qui seraient plus étoffées. » Les avocats et les comptables qui travaillent dans cette équipe tâchent de détecter les montages élaborés qui aident les millionnaires à payer le moins d’impôt possible.

La PDG et le ministre répondaient à une question du député Frédéric Beauchemin mentionnant un reportage de La Presse publié en février. L’enquête1 portait sur Mathieu Gendron, un avocat qui a quitté la direction des planifications agressives en octobre, avant de se joindre au cabinet BCF et de prendre un mandat pour l’ex-PDG des Vêtements de sport Gildan Greg Chamandy, à qui Revenu Québec réclame plus de 10 millions.

PHOTO FOURNIE PAR BCF AVOCATS D’AFFAIRES

Mathieu Gendron, ex-employé de Revenu Québec qui a fait l’aller-retour entre le privé et le public, est retourné au privé l’an dernier chez BCF et au service de son client, le millionnaire Greg Chamandy.

Le fiscaliste en est à son deuxième aller-retour entre privé et public. Il travaillait déjà pour le millionnaire controversé jusqu’en 2014 au cabinet Heenan Blaikie, puis en 2016 pendant les huit mois qu’il a passés chez Deloitte.

« Je suis surpris qu’une telle chose soit possible. Mais il faut croire qu’il ne faut pas se surprendre de bien des choses aujourd’hui », a dit le juge responsable du procès, Daniel Bourgeois, en prenant connaissance du parcours de Mathieu Gendron le 6 février.

« Emplois stratégiques »

La PDG de Revenu Québec veut mettre en place un « suivi plus élaboré » des fonctionnaires qui quittent le fisc « pour ajouter un peu de robustesse, surtout dans ces emplois stratégiques où on voit plus de mobilité entre l’agence et le secteur privé ».

La Presse a voulu savoir plus clairement comment elle compte concrétiser ces intentions, mais Revenu Québec a refusé notre demande d’entretien avec la PDG.

La direction des communications a pour politique de ne jamais accorder d’entrevue téléphonique et n’a pas offert plus de précisions par courriel.

« Il est prématuré à ce stade-ci de discuter du détail des modifications et améliorations envisagées puisque les travaux sont toujours en cours et que ces modifications seront soumises au conseil d’administration de Revenu Québec avant qu’elles soient applicables », écrit le porte-parole Claude-Olivier Fagnant.

La prochaine réunion du C.A. de l’agence doit avoir lieu en juin.

« Le minimum »

Porte-parole de l’opposition officielle en matière de finances, Frédéric Beauchemin considère que Revenu Québec ne s’engage qu’au « minimum » pour l’instant. « Dans ma tête, elle laisse la porte ouverte à ce qu’il y ait d’autres conversations à ce sujet, dit-il. On va laisser la chance au coureur. »

Pour les libéraux, l’enquête de La Presse démontre que les critères éthiques de Revenu Québec sont trop faibles. Ils proposent à l’agence de s’inspirer du code d’éthique des employés fédéraux.

Pendant un an, un avocat qui travaille pour Ottawa doit obtenir une approbation avant d’« intervenir pour le compte d’une autre personne auprès d’un ministère ou d’un organisme avec lequel il a eu des rapports officiels ».

En appliquant ces critères, Mathieu Gendron aurait eu besoin d’une permission pour travailler sur un quelconque litige contre son ancien employeur, le fisc.

PHOTO TIRÉE DU SITE DE REVENU QUÉBEC

Christyne Tremblay, PDG de Revenu Québec

En étude des crédits budgétaires, Christyne Tremblay a laissé entendre que les règles québécoises étaient « supérieures à la fonction publique fédérale », puisqu’elles ne contiennent aucune échéance. « Il n’y a pas de période limitée », dit-elle. Les restrictions inscrites au code d’éthique ne dureraient pas seulement un an, mais seraient éternelles.

Vérification faite, le code de déontologie de Revenu Québec ne contient cependant pas de clause comparable à celle d’Ottawa. Il interdit seulement aux « employés qui ont agi relativement à une procédure » d’agir ensuite pour le compte d’autrui « à l’égard de la même procédure ».

Autrement dit, en vertu de ce code, si Mathieu Gendron ne travaillait pas sur le dossier Chamandy au fisc, rien ne l’empêche aujourd’hui d’aider le millionnaire à se battre contre ses anciens collègues.

Selon le député libéral Frédéric Beauchemin, une restriction d’emploi doit de toute façon contenir une limite dans le temps pour être valide.

« Ils ne peuvent pas interdire quelque chose “pour le reste de ta carrière”, dit-il. Avec une clause comme ça, tu vas voir un avocat et un juge, et c’est renversé automatiquement. »

1. Lisez l’enquête « Portes tournantes pour un ex-avocat de Revenu Québec »

L’histoire jusqu’ici

2014

Le cabinet de Mathieu Gendron, Heenan Blaikie, est dissous. M. Gendron se joint à Revenu Québec. Il cesse donc de représenter l’ex-PDG de Gildan, Greg Chamandy.

2016

Mathieu Gendron quitte le fisc pour une courte incursion de huit mois au cabinet Deloitte, où il renoue avec Chamandy, avant de retourner à Revenu Québec.

2022

L’avocat quitte à nouveau le fisc pour se joindre au cabinet BCF et conseiller Chamandy dans son litige de plus de 10 millions contre ses anciens collègues.