Les conseillers financiers qui ont floué 1600 petits épargnants pour plus de 130 millions de dollars dans l'affaire Mount Real, l'une des pires fraudes financières du Québec, semblent s'en tirer à bon compte: ils n'ont payé qu'une infime partie des amendes imposées par les tribunaux.

Les victimes ont réagi avec colère en apprenant que les 23 conseillers qui les ont dépouillés de l'épargne accumulée pour leur retraite ont versé seulement 15% des montants dus à la suite de leurs condamnations.

«Nous sommes frustrés et déçus de voir ça, souligne Janet Watson, porte-parole des victimes de Mount Real. Seulement quelques-uns ont payé leurs amendes, la majorité s'en tire en faisant des travaux compensatoires. Et même pour ceux qui ont payé, l'argent ne revient même pas aux victimes.»

Mme Watson a demandé une mise à jour des amendes recueillies par l'Autorité des marchés financiers (AMF) à la suite des procédures pénales contre les conseillers fautifs. Elle a reçu le document cette semaine.

29 conseillers financiers impliqués

Dans cette malheureuse histoire, mise au jour en 2005, 29 conseillers financiers ont été poursuivis en justice par l'AMF. Un seul conseiller a été acquitté, 23 ont été reconnus coupables et 5 autres sont toujours devant les tribunaux, en attente de procès ou de verdict.

Des amendes totalisant 3,25 millions ont été imposées par le tribunal à la suite des verdicts de culpabilité. Mais seulement 484 000$ ont été effectivement payés, par sept des conseillers coupables.

Huit autres ont choisi de faire des travaux compensatoires plutôt que de payer l'amende dictée par le juge.

Le conseiller Yves Tardif, par exemple, qui a fait perdre plus de 3 millions à 21 clients, a été poursuivi en vertu de 90 chefs d'accusation et a plaidé coupable en décembre 2009. Il a été condamné à payer 453 000$, plus 10 650$ de frais. Plutôt que de payer cette somme, il a choisi de faire 2371 heures de travaux compensatoires.

Linda Brien, qui a perdu 700 000$ avec son conjoint aux mains d'Yves Tardif, s'insurge contre cette façon de faire. «Il y a des victimes qui ont dû retourner sur le marché du travail, qui ont perdu leur maison. Et les coupables, au lieu de payer, font des travaux communautaires. Ils ont sûrement gardé leur maison, leur voiture... C'est vraiment aberrant. Et en plus, on ne peut rien faire!», dénonce-t-elle.

La plus grosse amende, 655 000$, a été imposée à Paul D'Andrea, l'un des dirigeants de Mount Real, qui a accepté de collaborer avec l'AMF et a plaidé coupable en septembre 2008 à 131 chefs d'accusation. Le document de l'AMF indique «Délai de la cour - n'a pas commencé à rembourser».

Les amendes payées sont versées au Fonds pour l'éducation et la saine gouvernance de l'AMF, qui finance des projets de littératie financière auprès de la population. Elles ne peuvent être distribuées aux victimes, explique Sylvain Théberge, porte-parole de l'AMF, parce qu'elles sont considérées comme des fruits de la criminalité. Les victimes n'ont pas non plus été indemnisées par le Fonds d'indemnisation des services financiers, parce qu'elles ne répondaient pas aux critères.

Pas les moyens de payer

Si les coupables n'ont pas payé leurs amendes, c'est sans doute parce qu'ils n'en avaient pas les moyens, explique Sylvain Théberge, porte-parole de l'AMF. «Dans les cas de fraudes majeures, souvent, les coupables n'ont plus un sou, ils ont déclaré faillite, dit-il. On essaie de mettre la main sur ce qui a été saisi. Mais quand on se rend compte qu'il n'y a aucune chance de recouvrer l'argent, on se tourne vers les travaux compensatoires, qui sont une autre façon de payer sa dette à la société.»

Pourquoi pas des peines d'emprisonnement pour ceux dont les amendes approchent le demi-million? «Il faudrait convaincre le juge qu'une peine d'emprisonnement s'impose. Ça dépend toujours de l'ampleur de l'infraction», répond M. Théberge.

Les victimes sont aussi en colère contre les délais de la justice, qui font en sorte que les procédures de recours collectif, qui pourraient leur permettre d'être indemnisées, n'ont toujours pas commencé et que le dirigeant principal de Mount Real, Lino Matteo, n'a toujours pas eu son procès. Matteo est accusé de 308 infractions à la Loi sur les valeurs mobilières en lien avec cette affaire. Il est aussi accusé de fraude dans l'affaire Cinar-Norshield.

LES ACCUSÉS DE MOUNT REAL

> 1600 investisseurs floués pour une somme de 130 millions

> 29 conseillers financiers et dirigeants de Mount Real accusés

> 1268 chefs d'accusation déposés

> 23 coupables condamnés: 16 ont plaidé coupables; 7 ont été reconnus coupables au terme de leur procès; 1 accusé acquitté; 5 accusés attendent leur procès ou leur verdict

> 15% des amendes imposées ont été payées

> 3,35 millions d'amendes imposées

> 483 490$ d'amendes payées par les coupables

> Plus grosse amende imposée: 655 000$, à Paul D'Andrea

> Plus grosse amende payée: 324 000$, par Luigi Muro

> 7 accusés ont payé leur amende

> 8 ont choisi des travaux compensatoires

> 3 ont conclu une entente de paiement

> 2 cas ont été confiés à des agences de recouvrement

> 1 n'a pas commencé à rembourser

> 1 s'est fait saisir des actifs

> 1 est en défaut de paiement