Après des années de frustration, les victimes de Mount Real ont enfin reçu une bonne nouvelle: le juge Jean-François Buffoni de la Cour supérieure du Québec a autorisé leur recours collectif contre les dirigeants de la firme, ses vérificateurs comptables et des gardiens de valeurs.

«Ce recours représente notre seule chance de récupérer un peu de notre argent, a déclaré la porte-parole du groupe d'investisseurs, Janet Watson, dans une entrevue téléphonique avec La Presse Affaires. Si nous n'avions pas eu cette autorisation, il n'y aurait plus eu d'espoir. Maintenant, il y a de l'espoir.»

Environ 1600 investisseurs ont perdu 130 millions de dollars dans cette affaire. Ils avaient investi dans des billets à ordre émis par Mount Real qui se sont révélés sans valeur. Selon les investisseurs, il s'agissait d'une fraude de type Ponzi, semblable au stratagème utilisé par Bernard Madoff aux États-Unis.

Dans un tel stratagème pyramidal, les investisseurs sont payés avec l'argent versé par de nouveaux investisseurs, et non pas avec les rendements obtenus par l'entreprise. Lorsqu'un grand nombre d'investisseurs réclament leur dû en même temps, la pyramide s'écroule parce que les fonds sont insuffisants.

Dans ce cas-ci, l'Autorité des marchés financiers (AMF) a réalisé que les coffres de Mount Real étaient vides après avoir procédé à sa saisie, en 2005.

L'AMF a toutefois refusé d'indemniser les victimes parce qu'elle n'avait pas approuvé les billets en question.

«La GRC n'a pas voulu enquêter parce que c'était trop complexe, elle n'avait pas les ressources nécessaires, et notre affaire n'a pas attiré l'attention dans les médias comme celle d'Earl Jones, a affirmé Mme Watson. C'était vraiment le temps d'avoir de bonnes nouvelles.»

Firmes comptables visées

Le recours collectif vise le président et chef de la direction de Mount Real, Lino Matteo, et son chef des finances, Paul D'Andrea. Mais aussi, et surtout, il vise trois firmes de vérification comptable, Deloitte & Touche, BDO Dunwoody et Scharts Levitsky Feldman, ainsi que deux gardiens de valeurs, B2B Trust et Services financiers Penson Canada.

L'autorisation accordée par le juge Buffoni représente une grande victoire, a déclaré l'un avocat représentant les investisseurs, Me Philippe Trudel, de la firme Trudel & Johnston.

«C'est relativement facile d'obtenir une autorisation pour un recours contre Matteo ou D'Andrea, mais c'est moins évident pour un recours contre les firmes de vérification comptable, a-t-il déclaré à La Presse Affaires. Nous n'avons pas prétendu que tous les investisseurs s'étaient fiés aux états financiers vérifiés avant d'investir.»

Il a expliqué que dans les autres provinces canadiennes et aux États-Unis, il n'y avait pas de recours possible s'il n'était pas possible de prouver que les victimes s'étaient fiés à ces états. Les avocats des victimes de Mount Real ont fait valoir qu'au Québec, en droit civil, les vérificateurs engageaient leur responsabilité s'ils commettaient une faute.

«S'ils avaient fait leur travail correctement, l'alarme aurait sonné, il aurait été impossible pour les fraudeurs de vendre leurs billets, a soutenu Me Trudel. S'ils ont prêté leur crédibilité à ces gens-là, s'ils n'ont pas fait leurs devoirs correctement, ils sont responsables du gâchis.»

Le juge Buffoni a conclu que la requérante avait réussi à «établir une apparence sérieuse de droit quant au lien de causalité entre les fautes imputées aux vérificateurs et le préjudice», une décision que Me Trudel a qualifié de première.

«Si j'étais une firme de vérification comptable, je serais nerveux», a-t-il lancé.

Les investisseurs devront cependant prouver ce lien de causalité devant le juge qui entendra le recours, probablement d'ici un an et demi à deux ans.

Me Trudel a reconnu que l'inclusion des firmes de vérification comptable et des gardiens de valeurs présentait un avantage incontestable pour les victimes : ces entreprises sont solvables.

«Si on a un jugement contre Matteo, on va courir longtemps pour l'exécuter, a-t-il fait remarquer. Je préfère avoir des débiteurs solvables. Cela dit, ce n'est pas parce qu'ils ont de l'argent qu'on les poursuit, mais parce qu'ils sont responsables.»