L'affaire Cinar a meublé l'actualité durant les années 2000 sans que personne ne soit arrêté. Hier, finalement, des accusations criminelles ont été déposées contre les auteurs présumés d'une fraude de 120 millions de dollars commise entre 1998 et 2005 dans cette affaire.

Quatre personnes sont accusées. Le fondateur de Cinar, Ronald Weinberg, 59 ans, et le comptable de l'entreprise, Hasanain Panju, 52 ans, se seraient enrichis personnellement avec cette fraude. Selon l'enquête, ils ont été aidés par les financiers John Xanthoudakis, 52 ans, et Lino Matteo, 44 ans.

Les quatre personnes sont visées par 36 chefs d'accusation de fraude, de faux et usage de faux ainsi que de faux prospectus.

Hier, seul Hasanain Panju a été arrêté, les autres étant introuvables. L'un d'eux est à l'extérieur du pays, indique la Sûreté du Québec (SQ), le corps policier qui a mené l'enquête.

Cinar est cet ex-producteur d'émission pour enfants, notamment Caillou, fondé par Ronald Weinberg et sa conjointe, feu Micheline Charest. L'entreprise était inscrite en Bourse.

À partir de 1999, diverses irrégularités ont été mises au jour, notamment l'obtention illégale de subventions avec des prête-noms et le plagiat de la série de l'auteur Claude Robinson.

Mais c'est la découverte du transfert illicite de 120 millions vers les Bahamas qui a sonné le glas de l'entreprise en Bourse, en 2000.

À l'époque, le conseil d'administration avait constaté que ces fonds avaient été transférés sans son autorisation au profit des dirigeants et au détriment des petits actionnaires. C'est ce volet de l'affaire que la SQ a enquêté et qui a mené aux accusations d'hier.

Ce dossier fort complexe a d'abord été débroussaillé par le séquestre RSM Richter et l'avocat Neil Stein. Joint au téléphone, Neil Stein s'est dit fort heureux que des accusations criminelles soient enfin déposées.

«C'est merveilleux. Je n'espérais plus le dépôt d'accusations après toutes ces années», a-t-il dit.

L'auteur Claude Robinson était aussi satisfait. «C'est mon anniversaire aujourd'hui. Je le prends comme un cadeau», a dit M. Robinson, qui se prépare à défendre sa cause de plagiat en appel contre Cinar.

Aux Bahamas, les fonds de Cinar étaient administrés par l'organisation de John Xanthoudakis. L'ex-PDG de Norshield, qu'on appelle John X, gérait aussi les fonds de 1900 particuliers et de plusieurs investisseurs institutionnels. Les fonds de Cinar et des autres investisseurs étaient amalgamés.

En 2005, Norshield a été bloquée par les autorités. John X a finalement été reconnu coupable d'infraction pénale en 2010 par la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario. Avec un autre dirigeant, il a écopé d'une amende de 4,5 millions pour avoir trompé les investisseurs. Ces derniers ont perdu 500 millions.

La dernière personne accusée hier est Lino Pasquale Matteo. Ce comptable de formation aurait participé à la production de faux documents avec John X pour camoufler la fraude envers Cinar, selon la SQ.

Cinar n'est pas le seul problème de Lino Matteo. L'homme est aussi accusé par l'Autorité des marchés financiers (AMF) d'avoir arnaqué 1600 investisseurs de 130 millions de dollars avec sa principale entreprise, Mount Real. Il risque un emprisonnement de cinq ans et de lourdes amendes. Son procès pourrait débuter cette année.

Pendant plusieurs années, l'entreprise Cinar a eu un litige civil avec Ronald Weinberg et Hasanain Panju. Les procédures ont même coûté 25 millions de dollars en frais d'avocats. En 2008, Cinar a finalement accepté un règlement à l'amiable avec les deux ex-dirigeants de l'entreprise et abandonné ses poursuites.

Ironiquement, l'ancêtre de l'AMF, soit la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ), n'a jamais accusé Ronald Weinberg et Micheline Charest dans l'affaire Cinar. Un règlement à l'amiable a plutôt été conclu, en 2002, en vertu duquel les deux dirigeants ont versé deux millions de dollars à la CVMQ et se sont vu interdire d'administrer une entreprise en Bourse pendant cinq ans. La décision de la CVMQ, rappelons-le, ne constituait pas un blâme envers le couple et les sommes n'étaient pas une amende.

La SQ justifie le temps qu'il a fallu pour déposer des accusations criminelles par la complexité du dossier. Plus de 50 témoins du Canada et des Bahamas ont été rencontrés, en plus de l'analyse d'une cinquantaine de boîtes et d'environ 10000 fichiers informatiques.