Dans un bruit assourdissant qui emplit le vaste hangar, de jeunes ouvriers chinois en combinaison bleue boulonnent et rivettent de grandes pièces de métal.

Ils mettent la touche finale au premier fuselage central de l'avion régional Q400 de Bombardier [[|ticker sym='T.BBD.B'|]] fabriqué en Chine, sous l'oeil attentif d'ingénieurs irlandais qui contrôlent la qualité du travail.

D'ici quelques jours, un camion emportera cette immense pièce jusqu'à Dalian.

De ce port de la mer Jaune, elle mettra le cap sur Séoul puis voguera vers Vancouver, d'où elle repartira en train.

Destination finale: l'usine de DownsView, à Toronto, où les ouvriers de Bombardier assemblent cet avion.

Un long périple, à l'image du chemin parcouru par la Shenyang Aircraft Corporation (SAC) depuis sa création en 1951. Et à l'image du travail qui lui reste à abattre.

Non seulement ce fournisseur de Bombardier devra relever la cadence de production, à quatre exemplaires par mois, mais SAC devra se familiariser avec d'autres sous-ensembles complexes comme l'empennage.

Il s'agit du groupe de pièces mobiles et fixes attachées à la queue de l'avion: dérive, stabilisateurs, gouvernes de direction et de profondeur.

En employant des techniques manufacturières complexes, pour usiner des pièces à courbures doubles, pour poser des instruments de commandes, Shenyang est loin de la fabrication de «bébelles» pour Dollarama.

«C'est un exercice de formation pour SAC, dit Denis Stewart, ingénieur en méthodes de la division aérospatiale, en poste à Shenyang. On espère que cela développera sa capacité à nous appuyer pour la CSeries.»

Bombardier parle de moins en moins de sa future famille d'avions commerciaux au conditionnel. Toutefois, le conseil d'administration n'a pas encore donné le feu vert à ce projet de plus de 2,1 milliards US. Une décision se prendra avant la fin de 2008.

Tandis que SAC fait ses classes pour devenir un fournisseur stratégique de la CSeries, l'entreprise chinoise entretient ses propres visées. SAC est l'un des principaux membres du consortium qui construira le premier jet régional de Chine. SAC fabriquera l'empennage de cet avion, appelé ARJ21.

Aussi, même si Bombardier et la société mère de SAC, AVIC I, entendent collaborer sur la version allongée du jet chinois, il reste que le premier modèle lancé, qui comptera de 78 à 85 sièges, concurrence des jets régionaux assemblés dans la région de Montréal. La capacité de cet avion se situe entre celles du CRJ700 et du CRJ900 de Bombardier.

Par ailleurs, SAC compte se lancer dans la construction d'avions légers pour de deux à quatre passagers.

«En Chine, on compte moins de 500 avions privés, alors qu'aux États-Unis, on en dénombre plus de 200 000», explique à La Presse Pang Zhen, président d'AVIC I SAC Commercial Aircraft Company, la nouvelle société qui regroupe les activités civiles de SAC.

Or, des avions légers aux avions d'affaires, la vache à lait de Bombardier Aéronautique, il n'y a qu'un pas assez facile à franchir, de l'aveu même du constructeur montréalais.

Shenyang ne fait d'ailleurs pas mystère de ses ambitions. Avec l'appui du gouvernement central et de la province du Liaoning, la municipalité a créé l'an dernier un pôle industriel dédié à l'aérospatiale.

Située au sud de cette grouillante ville de 7,2 millions d'habitants, la Shenyang Aviation Economic Zone occupe 28 kilomètres carrés à côté de l'aéroport international TioXian.

En plus d'offrir des avantages fiscaux et des prêts à taux réduits, les autorités subventionnent l'achat de terrains et le coût des services publics.

C'est ici que SAC déménagera la chaîne d'assemblage du Q400 de Bombardier, lorsque la construction de la première phase du parc industriel civil de la Zone sera achevée, au coût de 155 millions de dollars (1,16 milliard de yuans).

Et c'est dans ce même parc que SAC installera toute la production associée à la CSeries.

L'objectif de la Zone?

«Créer le plus important site d'assemblage final d'avions régionaux, d'avions d'affaires, d'avions légers et de moteurs en Chine», est-il écrit dans le document promotionnel en papier glacé.

L'affirmation ferait sourciller les grands centres aéronautiques de Shanghai, Tianjin et Xi'an. Mais au-delà de ces rivalités régionales, relevons qu'il n'est plus question de sous-traitance ici. À l'image de la Chine, Shenyang veut être constructeur.

Est-ce que Bombardier joue avec le feu en enseignant ses méthodes, son expertise à son principal fournisseur chinois? Le bon partenaire d'aujourd'hui n'est-il pas le concurrent de demain?

«Il y a toujours un risque, reconnaît Jianwei Zhang, président de Bombardier Chine, de son bureau de Pékin. Mais il faut toujours mettre en perspective ces risques avec les occasions qu'ils nous offrent.»

L'occasion, c'est le formidable marché chinois de l'aviation, en pleine explosion.

«À long terme, un partenariat stratégique nous donnera un meilleur accès au marché chinois», dit Jianwei Zhang. Pour ce dirigeant qui étudié à HEC Montréal, les constructeurs québécois et chinois ont plus à gagner à travailler ensemble.

«Quand tu te marries, tu cours toujours le risque de divorcer, dit-il. Mais c'est mieux que de rester tout seul.»

L'analogie est intéressante, puisque pour l'instant, Bombardier et AVIC1 sont seulement fiancés par une entente de principe. Et comme dans toutes relations naissantes, les promis rêvent d'une histoire qui se terminerait comme un conte de fées. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de commandes

Ce reportage a �©t�© r�©alis�© gr�¢ce �  une bourse de la Fondation Asie-Pacifique du Canada.