Des scientifiques montréalais et français viennent de faire une découverte majeure qui pourrait permettre de guérir un jour certains toxicomanes. Et de cibler les jeunes qui risquent de devenir dépendants aux drogues.

D'après leurs recherches publiées ce mois-ci dans l'influente revue Molecular Psychiatry, un problème de communication entre les neurones favorise la dépendance. Car ces ratés - d'origine génétique - perturbent le fonctionnement du centre de récompense, une zone cérébrale liée à la recherche de satisfaction. Une fois déréglée, cette zone se voit détournée vers la quête incessante de substances ou de comportements associés au plaisir, même si leurs effets néfastes l'emportent.

L'étude du neurobiologiste Salah El Mestikawy, chercheur à l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, met en cause un gène précis (appelé VGLUT3). Lorsque ce gène est dysfonctionnel, certains neurones du centre de récompense sécrètent trop peu de glutamate. Or, le glutamate issu de ces neurones permet de freiner la sécrétion de dopamine. À juste dose, cette dernière substance motive à obtenir satisfaction (aliments, jeu, etc.). Mais mal régulée par le cerveau et libérée massivement par la consommation de certaines drogues, elle favorise la dépendance à ces substances. En effet, le désir de récompense et son anticipation sont alors démesurés et quasi irrésistibles.

Les chercheurs ont d'abord observé le mécanisme chez des souris. Quand ils ont réduit au silence leur gène VGLUT3 et qu'ils ont relié les souris à un cathéter, «celles-ci s'autoadministraient de la cocaïne sans retenue», rapporte en entrevue le Dr El Mestikawy.

Afin de vérifier ce qu'il en était chez l'humain, son équipe s'est associée à un généticien français, Stéphane Jamain, pour comparer 230 toxicomanes lourds (très accros à la cocaïne ou aux opiacés) avec 213 personnes sans antécédents psychiatriques. Expérience concluante: on a retrouvé 10 fois plus souvent les mutations génétiques prévues chez les accros aux drogues que chez les sujets sains (soit chez 5% d'entre eux par rapport à 0,5%).

Nouveaux médicaments

Avec cette découverte se profile une cible thérapeutique jadis insoupçonnée. «En contrôlant la puissance de la sensation de récompense (c'est-à-dire en agissant sur les récepteurs pertinents au sein du cerveau), on pourrait un jour contrôler la dépendance», avance le Dr El Mestikawy. Il espère aussi la mise au point d'outils diagnostiques pour cibler les jeunes vulnérables.

Tout futur médicament devra être savamment dosé, puisque le dysfonctionnement du gène VGLUT3 n'a pas que des inconvénients. Il semble avoir un impact favorable sur la motivation. «Les souris touchées avaient un système de récompense qui marchait beaucoup trop fort et étaient très anxieuses, mais elles étaient par contre très performantes lors des tests, vraiment très malignes», explique le chercheur.

«C'est un gros avantage qui explique que la mutation s'est transmise au lieu de disparaître avec l'évolution. Si c'est la même chose chez les humains, cela pourrait peut-être expliquer pourquoi beaucoup d'artistes ou de gens qui se droguaient étaient des gens assez exceptionnels.»

En attendant, il est inutile de reprocher aux toxicomanes leur manque de volonté, dit-il, quand un puissant mécanisme moléculaire est à l'oeuvre et les prive d'un filtre protecteur. «Il faut plutôt faire de la prévention. Dire aux jeunes: toi, tu as la chance d'avoir un système de récompense qui marche fort, par contre, c'est dangereux. Ça peut t'emporter et détruire ta vie.»

Bien d'autres causes

Nuance importante: chez l'immense majorité, soit 95%, des toxicomanes de son étude, le gène VGLUT3 s'est avéré intact. «Chez eux, de nombreux autres gènes ainsi que des facteurs éducatifs ou environnementaux peuvent être en cause», précise le Dr El Mestikawy.

«Cela montre à nouveau que les gens qui ont des dépendances sont extrêmement différents les uns des autres et que les maladies psychiatriques sont très complexes. Leurs causes sont multiples. Ce n'est pas comme avoir la grippe.»

Le mécanisme scientifique

1. Les neurones communiquent au moyen de substances chimiques appelées neurotransmetteurs. Moins «célèbres» que la sérotonine et la dopamine, le glutamate et l'acétylcholine en font partie.

2. Une petite population de neurones du centre de récompense (aussi appelé noyau accumbens) sont «bilingues», puisqu'ils peuvent libérer ces deux dernières substances au lieu d'une seule. L'acétylcholine leur permet d'exciter les neurones voisins (de leur dire «oui») et le glutamate, de les inhiber (de leur dire «non»).

3. Une mutation du gène VGLUT3 prive ces neurones (dits cholinergiques) d'un de leurs langages. Comme des véhicules dotés d'un accélérateur mais dépourvus de freins, ils ne libèrent plus de glutamate. Cela peut causer des déséquilibres et des maladies, comme la toxicomanie.