En recevant le prix Médicis cette semaine pour L'énigme du retour (Boréal), Dany Laferrière est allé rejoindre les Mauriac, Sollers, Perec, Cholodenko, Lévy et compagnie dans le club sélect des écrivains couronnés à Paris.

Dany Laferrière est le deuxième écrivain québécois à recevoir le prix Médicis après Marie-Claire Blais en 1966 pour Une saison dans la vie d'Emmanuel.

Il a jeté son ancre - ou l'une de ses ancres puisqu'il est un grand voyageur devant l'Éternel - à Montréal en 1976, pour fuir le régime Duvalier en Haïti. Touche-à-tout talentueux, il est devenu un incontournable du paysage médiatique et artistique du Québec, dans lequel il a durablement fait sa marque. Pour son apport à la société et à la littérature québécoises, La Presse et Radio-Canada lui décernent le titre de Personnalité de la semaine.

 

Nommer le monde

«J'ai voulu par ce livre dire mon amour pour Haïti et le Québec», confie Dany Laferrière, à propos de L'énigme du retour, que la critique considère comme l'un de ses meilleurs romans. «Ces deux pays existent si intimement en moi qu'il m'arrive aujourd'hui de les confondre dans mes rêves. Je ne pensais pas qu'il était possible d'être d'un autre pays que celui où l'on est né. Cela vient avec le temps long, les jours heureux et malheureux et la passion des autres.»

Alors qu'il est étourdi par le tourbillon médiatique qui s'est emparé de lui à l'annonce du lauréat du Médicis mercredi, nous joignons l'écrivain le jour même afin de connaître ses impressions. Difficile pour lui d'exprimer précisément ce qu'il ressent, à chaud. «Il faut une certaine distance que je n'ai pas encore. J'ai besoin d'une baignoire pour réfléchir lentement à la question. On veut tout me donner sauf ce temps précieux qui nous permet d'être autre chose qu'un objet convoité.»

Il y a très exactement 25 ans cette année, le jeune Dany Laferrière publiait son premier roman au titre provocateur, Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer, qu'il avait entièrement tapé sur une vieille Remington. Et dans une entrevue à l'époque, il avait dit vouloir «s'emparer de l'univers». Pensait-il un jour se rendre jusqu'à cette consécration? «Je n'ai jamais vu cela comme un parcours ou une conquête de territoires, dit-il. Je pensais plutôt à cette possibilité qu'accorde l'écriture de nommer le monde. Je me voyais - et je me vois encore - couché sur le dos en train de le rêver surtout. Héraclite vient de me souffler que l'homme qui rêve construit l'univers...»

Et quand il a reçu son prix, c'est à ce jeune écrivain anonyme qu'il a pensé. «N'importe quel jeune écrivain penché sur son manuscrit dans la solitude absolue. C'est l'honneur du métier.»

L'énergie de l'écriture

Pendant un quart de siècle, Dany Laferrière a construit une oeuvre en parallèle de ses nombreuses activités médiatiques. Journaliste, chroniqueur, porte-parole, il a même tâté du cinéma, mais la littérature était la voie royale de sa vie. Une vingtaine de livres, dans lesquels il a immortalisé les héroïnes de son enfance tout en se questionnant sur le destin de l'exilé et les rapports Nord-Sud. L'odeur du café, Pays sans chapeau, La chair du maître, Le cri des oiseaux fous, pour nommer quelques titres marquants...

Dire qu'il y a quelques années, il pensait laisser tomber l'écriture, ayant estimé être arrivé au bout de son «autobiographie américaine», ainsi qu'il nomme son cycle romanesque. «Ce n'était surtout pas une panne, mais plutôt un sincère besoin de me libérer de l'emprise des mots, précise-t-il. Les phrases étaient comme des lassos autour de mon cou. La première fonction de l'écriture est de vous empêcher de vivre. Toute cette énergie va au roman. Autour de soi, ce n'est que cendres, avec des flammèches de joie. Je voulais descendre du cheval fou de l'écriture.»

Pour mieux y remonter, et à bride abattue. Et s'il ne refuse pas les honneurs, il ne les a jamais recherchés, la preuve étant qu'il se voit récompensé dans sa voie à son 19e roman. «Je suis d'accord avec tout ce qui m'arrive. J'ai l'impression qu'on s'intéresse beaucoup plus à mes livres qu'à ma personne, ce qui ne peut que réjouir un écrivain. Le vrai prix, c'est d'être lu.»

De plus, il est encore en lice pour le prix Femina, dont le lauréat sera annoncé aujourd'hui. Réussira-t-il un doublé? «Un dandy ne donne jamais le même spectacle deux fois...»