Le film commence à l'automne 2003. Le jeune gouvernement Charest roule des mécaniques: il s'était engagé à modifier l'article 45 du Code du travail pour faire davantage de place à la sous-traitance, au mépris des syndicats, sources de «l'immobilisme». Devant le parlement, c'est un défilé de manifestations pendant qu'au Salon bleu, on adopte les projets de loi controversés au pas de course.

Au générique de fin, après neuf années de pouvoir, Jean Charest affronte les étudiants opposés à la hausse des droits de scolarité. Montréal est perturbée par les manifestations quotidiennes. Les accrochages violents entre manifestants et policiers tournent en boucle sur les réseaux d'information continue.

Étonnant parcours, pour celui qui a annoncé sa démission mercredi. «Pendant plus de neuf ans, j'aurai brûlé d'un feu constant», a-t-il déclaré. Ses adversaires politiques l'ont dépeint comme un pyromane, mais dans bien des secteurs, des observateurs indépendants ont plutôt constaté son incandescence, son ardeur à faire progresser le Québec.

Pour le sénateur Jean-Claude Rivest, à la différence des Robert Bourassa, Lucien Bouchard ou Jacques Parizeau, «Jean Charest n'avait jamais eu de contacts avec les milieux syndicaux et culturels. Cela explique beaucoup le credibility gap qui lui a longtemps nui auprès de ces groupes». Les derniers mois du gouvernement en témoignent: Jean Charest a dû faire face à «une contestation générale du gouvernement», les droits de scolarité n'étant qu'un prétexte.

Louis Roy, président de la CSN, n'approuve pas le cliché selon lequel le gouvernement Charest était opposé aux centrales syndicales. De 2003 à 2007, la confrontation était certes le lot quotidien. Après l'arrivée du gouvernement minoritaire, les centrales sont en revanche devenues des «partenaires [après] un virage à 180 degrés!». «J'ai même appuyé des projets de loi libéraux en commission parlementaire. Ce n'est pas habituel à la CSN», souligne le syndicaliste.

Économie

Il faut dire qu'il y a du judoka en Jean Charest, capable de récupérer l'énergie de l'adversaire à son profit. Comme lorsque Québec s'est fait imposer par le tribunal le paiement de l'équité salariale et que les chèques seront envoyés... la veille des élections de 2007. Après la catastrophe du viaduc de la Concorde, qui s'est produite en 2006, Québec est forcé de pomper des milliards pour financer des travaux publics. Un mal pour un bien puisque c'est exactement ce qu'il fallait faire pour relancer la machine en temps de crise financière.

Pour Jacques Ménard de la Banque de Montréal, les années Charest sont celles d'une «gestion responsable des finances publiques». Une déception toutefois: la réduction de la taille de l'État - sa réingénierie - a avorté. «Je suis convaincu que, s'il écrivait ses mémoires, M. Charest reconnaîtrait que c'est son plus grand regret», croit Jacques Ménard

Les dernières années ont été difficiles. Après deux ans de pressions publiques, M. Charest a, à contrecoeur, donné le feu vert à une commission d'enquête publique sur la corruption. Il attendait des résultats de la nouvelle escouade de l'Unité permanente contre la corruption. Les accusations visant Tony Accurso, Frank Zampino et une longue liste d'entrepreneurs ne tomberont qu'au printemps 2012. Trop tard. Le financement des partis politiques, la collusion, «ce sont des zones d'ombre dont on n'a pas fini d'entendre parler. M. Charest a été négligent dans bien des dossiers», estime pour sa part Alain-G. Gagnon, politologue à l'Université du Québec à Montréal.

Santé et environnement

En santé, Jean Charest avait mis la barre très haut, en 2003, en promettant d'éliminer l'attente aux urgences. Mauvais conseil des spécialistes en marketing du PLQ, confie un proche : on attend une heure de plus qu'il y a neuf ans. Un progrès importantnéanmoins: la garantie d'accès, dans les six mois, à des interventions comme la cataracte, le remplacement du genou ou de la hanche. Deux autres avancées en santé sont à noter : on a réduit le fouillis des accréditations syndicales et finalement donné le feu vert à la construction des deux hôpitaux universitaires à Montréal.

Sur le plan de l'environnement, Jean Charest aura été le champion de la lutte contre les changements climatiques. «Ici, il y a unanimité sur ce que le gouvernement a accompli», observe Steven Guilbeault, coordonnateur général adjoint à Equiterre. Un bon point: après l'abandon du projet de centrale au gaz du Suroît sous la pression populaire, le Québec deviendra un chef de file de l'énergie éolienne. Autre avancée: la protection du territoire. De 1976 à 2003, seulement 2% du territoire a été protégé. Depuis 2003, on a atteint 8%, relève Steven Guilbeault. Mais bien des Québécois se souviendront du dossier du gaz de schiste et «une série de décisions déplorables» dans un domaine que ne connaissait pas la fonction publique québécoise, explique l'environnementaliste.

Scène internationale

C'est probablement sur la scène internationale que Jean Charest aura été le plus à l'aise. Il aura «multiplié les contacts avec les milieux financiers à l'étranger et cela aura été très utile au Québec», observe le sénateur Rivest. Jean Charest est parvenu à relancer des discussions sur un projet d'accord économique et commercial entre le Canada et l'Union économique européenne. Il s'agit d'un «élément très structurant pour l'avenir économique du Québec», selon Louis Bélanger, politologue spécialisé en relations internationales à l'Université Laval, qui rappelle qu'«avant que Jean Charest s'en mêle, les discussions n'allaient nulle part.» L'entente doit être conclue avant la fin de l'année.

Ottawa

À l'ouest, rien de nouveau.Les relations sont toujours tendues avec Ottawa. Il faut dire que les différends n'ont pas manqué mais le Québec a marqué des points: le litige sur une agence unique pour les valeurs mobilières a été remporté par les provinces et Québec a obtenu gain de cause sur la compensation pour l'harmonisation de la taxe de vente. Mais sous Paul Martin, on avait obtenu davantage avec la reconnaissance de «l'asymétrie» pour le Québec dans la répartition des paiements pour la santé.

Mais la vraie guerre n'a pas eu lieu. Le gouvernement Charest «a joué de chance. Il était là dans une période de difficultés financières à Ottawa. L'absence de nouveaux programmes a réduit les risques d'intrusion du pouvoir fédéral dans les champs de compétences du Québec», observe le sénateur Rivest.

Jean Charest est aussi l'instigateur du Conseil de la fédération, rappelle M. Rivest. «Mais les volontés qu'y ont exprimées les provinces ont laissé de glace Stephen Harper. [Pour Ottawa, les déclarations du conseil] ont autant de poids qu'une résolution de l'Assemblée nationale», conclut Rivest, sourire en coin.