Le maire de Saguenay, Jean Tremblay, conspue entre autres choses la charte de la laïcité du Parti québécois, qui empêcherait la prière à son conseil municipal. Mais cette charte ne serait qu'un clou dans le cercueil de son rituel.

«Une telle charte ne serait pas nécessaire pour interdire la prière à Saguenay. Mais elle serait tout de même utile. Ce serait un argument juridique de plus», croit Louis-Philippe Lampron, professeur à la Faculté de droit de l'Université Laval et spécialiste des questions de liberté de religion.

«C'est comme la bretelle et la ceinture. Il y a deux protections au lieu d'une», renchérit Stéphane Beaulac, professeur à la Faculté de droit de l'Université de Montréal.

La charte québécoise des droits et libertés de la personne a déjà permis à des militants laïqies de faire interdire la prière aux conseils municipaux de Trois-Rivières et de Laval. Le maire Tremblay le sait très bien. Il a subi le même sort. Après deux jugements défavorables, il continue de porter sa cause en appel (voir dossier complet de la preuve ici).

Le dernier jugement sur Saguenay a été rendu par le Tribunal des droits de la personne. Il porte donc sur la discrimination, explique M. Lampron. La question était de savoir si la prière discriminait les non-croyants en leur imposant une prière.

Mais une charte de la laïcité préciserait un «flou», explique-t-il. La séparation de l'Église et de l'État n'est pas constitutionnalisée. Les chartes ne la protègent pas directement. Au contraire, la Charte canadienne est fondée «sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu», selon son préambule.

«La laïcité y est plutôt protégée par la négative, explique-t-il. Ce qu'on protège, c'est la liberté de religion et de conscience. Et donc la liberté de ne pas se faire imposer une croyance», explique Me Lampron.

C'est ce raisonnement qui a fait invalider en 1986 la Loi sur l'observance du dimanche, rappelle-t-il. Et c'est aussi cet argument qui a permis, en vertu de la charte canadienne, d'interdire la prière à un conseil municipal en Ontario en 1998.

Déboutée par la Cour suprême?

Rappelons toutefois que si le PQ propose une charte de la laïcité, c'est avant tout pour régler ce que Pauline Marois nomme la «crise des accommodements raisonnables». Le texte n'a pas encore été écrit. On en connaît par contre déjà les grands principes. Il énoncerait que le Québec est «laïc» et «neutre par rapport aux croyances ou non-croyances». Les employés de la fonction publique et parapublique ne pourraient plus porter de signe religieux ostensible, comme le hijab, la kippa ou le turban. On hiérarchiserait aussi des droits fondamentaux. L'égalité entre les hommes et les femmes primerait sur la liberté de religion.

Cette charte risque fort d'être contestée. Et elle pourrait être déclarée anticonstitutionnelle par le plus haut tribunal du pays, avance Me Lampron. «Le texte du PQ pourrait être attaqué à partir de la liberté de religion, qui est un droit fondamental protégé par la charte canadienne.»

Le PQ s'inspire du modèle français. Or, ce modèle entre en collision avec le modèle canadien. La France ne fait pas de distinction entre les institutions et les fonctionnaires qui y travaillent. Les deux doivent rester neutres. Le Canada fait quant à lui cette distinction. Les fonctionnaires jouissent de la liberté de religion. En outre, cette liberté est interprétée en concordance avec l'article 27 de la charte canadienne, qui consacre «l'objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens».

Si la charte de la laïcité était contestée, les tribunaux devraient répondre à deux questions, rappelle Me Beaulac. «D'abord, on se demanderait si la liberté de religion est violée. Si la réponse est oui, on examine si cette limite peut se justifier dans une société libre et démocratique ?»

Les tribunaux devraient pondérer l'intérêt individuel du plaignant avec les choix de l'Assemblée nationale. On verrait alors, poursuit le professeur Beaulac, si le modèle de l'interculturalisme proposé notamment par la commission Bouchard-Taylor est soluble dans le multiculturalisme canadien.

Un autre aspect de la charte du PQ qui pourrait être contesté est la primauté de l'égalité homme-femme sur la liberté de religion. «Les tribunaux ont habituellement horreur de la hiérarchisation des droits. Ils sont considérés comme un tout indissociable. On préfère parler de conciliation.»

Pourrait-on contourner ces difficultés en invoquant la clause dérogatoire? «Ce n'est pas quelque chose qu'on utilise de façon préventive, répond Me Beaulac. Il faudrait d'abord attendre qu'une contestation se rende en Cour suprême et obtienne gain de cause.»