J'ai toujours été vaguement amusé par Gabriel Nadeau-Dubois. Amusé par l'image de Jedi du militantisme que certain(e)s lui ont fabriquée, pas tout à fait à son corps défendant. Amusé par cette maturité qu'il porte comme un col roulé trop grand. Amusé par la détestation viscérale qu'il a suscitée et qu'il suscite encore.

Et même quand il m'énervait, quand je trouvais qu'il louvoyait en défendant sa CLASSE ou en refusant de condamner des niaiseries évidentes, il m'amusait...

Je ne suis pas sûr que lui, cependant, s'amusait.

Pensez-y...

T'as le ministre Dutil qui te caricature en un ennemi de l'État. T'as un caricaturiste qui te dessine un turban à la ben Laden. T'as des grands primates qui parlent de te casser la gueule sur les médias sociaux, quand ce n'est pas en pleine face. T'as ta mère qui se fait un sang d'encre parce qu'une partie de la nation te déteste. Et, aussi, t'es un peu Mick Jagger: des centaines de filles voudraient être bien plus que ton amie Facebook...

Tout ça, à... 21 ans.

Bref, je n'étais pas surpris qu'il démissionne, en août.

«Il fallait que je quitte, me dit-il au resto où se déroule l'entrevue. Je n'étais plus capable de travailler avec mon équipe: j'étais impatient, colérique, incapable d'accepter la critique. Ça ne me dérangeait pas d'être démonisé. Ça montrait que nos idées dérangeaient, étaient novatrices. Mais ce qui était tough, c'était de faire ça sans avoir l'appui, en arrière, de l'organisation. Même si certains m'appuyaient, c'était tiède. J'étais d'accord pour manger les balles, mais si l'appui est tiède...»

C'est la grande ironie du destin printanier de Gabriel Nadeau-Dubois (GND). Pendant que certains Québécois le voyaient comme un Mom Boucher 2.0, il était vu au sein de la CLASSE comme trop... conciliant!

«Mais ma démission a empêché les libéraux de m'instrumentaliser. Je ne pouvais plus servir d'épouvantail à Jean Charest, pendant les élections. Je n'étais plus l'enjeu.»

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La CLASSE - qualifiée de révolutionnaire et d'extrémiste en certains quartiers - est à la fois vieille comme Marx et neuve comme le millénaire. Écoutez la rhétorique des militants de la CLASSE et vous entendrez l'écho des militants marxistes-léninistes des années 70. Mais elle est également l'héritière du mouvement altermondialiste qui est né à Seattle en 1999 et qui a culminé avec les rejetons d'Occupy Wall Street de l'hiver dernier.

«Sans Occupy, dit l'ex-porte-parole de la CLASSE, le printemps québécois n'aurait pas été si long, si fort. Le discours des 99% opposés au 1% de l'élite était déjà lancé.»

C'est pourquoi il a été autant question de droits de scolarité que de ressources naturelles et de justice sociale dans la bouche de GND et de ses congénères, le printemps dernier.

«L'endettement étudiant, ce n'est pas un plan, au sens d'un complot. Mais il y a quelque chose de systémique: si on endette les étudiants, on change leur rapport avec les études. Avec 40 000$ à rembourser, tu ne seras pas intéressé par la philo ou l'histoire de l'art. Le marketing et le génie vont te sembler bien plus intéressants. (...) C'est une manière efficace pour modeler de parfaits petits consommateurs du XXIe siècle.»

Reste, fais-je remarquer à Nadeau-Dubois, que la grève a fini à la débandade, à la rentrée.

Il ne se démonte pas: «Souvent, les mouvements sociaux prennent du temps avant d'éclore. Ça s'est vu, dans l'histoire. Prends le Québec de 1970-1972: ça brassait! Pourtant, Bourassa a été réélu en 1973. Il a fallu attendre 1976 pour que le Parti québécois soit élu et que ça commence à changer. Je te dis ça et on s'entend: le PQ de 1976, ce n'est pas celui de 2012.»

Ce qui nous amène à Léo Bureau-Blouin (LBB). GND l'appelle «Léo», mais le passage au PQ de l'ex-leader de la FECQ est clairement une forme de capitulation pour lui. Il envoie d'ailleurs à LBB une pointe dans la postface du livre Le Souffle de la jeunesse, lancé jeudi.

«Quand Mme Marois a présenté Léo Bureau-Blouin, il ne portait pas son carré rouge...

- Je sais. Il a même abandonné le discours du gel des droits de scolarité. Il a adopté celui de l'indexation, du PQ. C'est décevant.»

Et pour qui Nadeau-Dubois a-t-il voté? Il hésite, se demande s'il doit confesser ce genre de truc.

«Certainement pas pour le PQ, le PLQ ou la CAQ, lui dis-je.

- Non.

- Option nationale ou Québec solidaire, d'abord...

- Oui.»

Deux partis qui sont, à leur façon, des rejetons de cet éveil du mouvement citoyen depuis 1999.

***

Je ne sais pas ce que sera l'héritage du printemps étudiant. Je ne sais pas si, comme le prophétise GND entre les lignes, on s'en souviendra comme une étape vers un changement politique radical au Québec. Il est vrai que l'Histoire ressemble souvent plus à une partie de billard échevelée qu'à une méthodique partie d'échecs.

Je sais ceci: le printemps québécois, gracieuseté de ces emmerdeurs d'étudiants, a sorti le dialogue public de la camisole de force du hockey, de la météo et de la téléréalité. «Dans nos campus, dans nos milieux de travail, dans nos villes et nos villages, écrit Gabriel Nadeau-Dubois dans Le Souffle de la jeunesse, les gens s'assemblent pour faire quelque chose qu'ils n'auraient jamais dû arrêter de faire: parler.»

Pas pire, comme héritage.