La soeur de Christiane Vadnais, tuée par un pitbull en 2016, est furieuse contre la décision du gouvernement Couillard.

« On va attendre que d'autres personnes se fassent attaquer, et le jour où ce sera quelqu'un qui est proche d'un politicien ou d'une personne publique, là peut-être que ça changera. Mais tant que ce sera monsieur et madame Tout-le-Monde, ce qu'on comprend, c'est qu'on n'est pas importants. Ma soeur n'était pas importante, l'infirmière qui s'est fait attaquer récemment n'est pas importante. C'est ça, le message qu'on envoie. Les pitbulls sont plus importants que nous. »

Lise Vadnais, qui est la soeur de Christiane Vadnais, morte en 2016 après avoir été attaquée par le pitbull d'un voisin, dans l'arrondissement de Rivière-des-Prairies-Pointe-aux-Trembles, est furieuse contre la décision du gouvernement Couillard de ne finalement pas interdire les pitbulls au Québec.

Le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, a confirmé la nouvelle, hier, en précisant que son projet de loi sur l'encadrement des chiens dangereux serait revu, afin de le rendre plus « consensuel » et de l'adopter d'ici la fin de la session parlementaire.

« Il n'y a pas de consensus scientifique, il n'y a même pas de corroborateurs scientifiques qui nous disent que ça va être quelque chose de praticable d'aller jusqu'à la désignation et l'interdiction de races particulières. Quand on fait des lois, il faut que ce soit basé sur des faits objectifs. » -  Martin Coiteux, en marge d'une réunion du caucus libéral, hier

« Il y a eu tellement d'incidents qui ont démontré que le pitbull était dangereux, mais on n'en a presque pas parlé, déplore Lise Vadnais. Une femme a été attaquée dans sa cour, à Cartierville, il y a un mois. Il y a eu aussi un chien d'accompagnement, supposé être bien élevé, qui a attaqué une infirmière du CHUL à Québec et un autre cas à Repentigny. Dans 13 % des cas, ce sont les maîtres qui se font attaquer par leurs chiens. S'il n'y a pas consensus au niveau de la science, je peux vous dire qu'il y a consensus dans les faits. »

MONTRÉAL SE RÉJOUIT

L'administration Plante, qui avait suspendu le règlement sur les chiens dangereux il y a six mois, a salué la décision de Québec. « Ils ont fait leur travail, ils ont rencontré les experts et ont conclu la même chose que nous, s'est félicité Craig Sauvé, élu responsable du dossier à Montréal. Il ne faut pas légiférer sur les races, ce n'est pas basé sur la science. Et la plupart des chiens sont des croisements, alors c'est difficilement applicable. »

Projet Montréal doit d'ailleurs dévoiler la semaine prochaine le règlement sur les chiens dangereux qui viendra remplacer celui de l'administration Coderre, qui avait interdit les pitbulls. Craig Sauvé dit vouloir s'assurer d'avoir « les meilleures conditions pour avoir plus de chiens en bonne santé mentale et moins d'agressivité ».

Martin Coiteux donne ainsi raison aux villes qui lui ont signifié qu'une interdiction des pitbulls serait inapplicable. « En Ontario, la Ville d'Ottawa, qui devrait faire appliquer la règle d'interdiction des pitbulls [dans cette province], nous dit : "On ne le fait pas, on n'est pas capable de le faire, c'est impossible de le faire." » 

« Lorsque les vétérinaires nous disent que c'est impossible, lorsque la communauté scientifique nous dit que c'est impossible, je pense qu'il faut être sensible à ça. » - Le ministre Martin Coiteux

Mais Lise Vadnais rejette ces arguments, insistant sur le fait que plusieurs villes, comme Brossard - où la jeune Vanessa Biron avait été défigurée par un pitbull dans un parc -, ont trouvé le moyen d'adopter et d'appliquer un règlement. Elle accuse la Société pour la prévention de la cruauté envers les animaux (SPCA) et l'Ordre des vétérinaires de désinformation.

« Quand la SPCA et l'Ordre des vétérinaires ont dit à la commission parlementaire que des professionnels étaient incapables d'identifier des pitbulls, j'ai trouvé ça scandaleux. Le coroner qui a mené l'enquête sur la mort de ma soeur a rapporté que le test d'ADN indiquait que le chien qui l'a tuée était à 88,9 % staffordshire ; malgré ça, ils refusaient de dire que c'était un pitbull. Si ce n'est pas de la mauvaise foi, je ne sais pas ce que c'est... »

LA SPCA SOULAGÉE

À la SPCA, la directrice de la défense des animaux, Alanna Devine, s'est dite « soulagée », mais en même temps « contente » de savoir qu'une loi provinciale allait quand même encadrer le comportement des chiens dangereux.

« Les scientifiques ne croient pas qu'une race de chien est plus dangereuse qu'une autre, soutient-elle. De plus, les chiens sont souvent un mélange de plusieurs races, donc on ne voit pas comment ce serait possible d'appliquer une loi qui interdirait uniquement les pitbulls. »

« On pense par contre qu'il faut mettre en place des mesures préventives et qu'il faut mieux encadrer l'élevage de ces chiens. » - Alanna Devine, de la SPCA

Questionné sur le point de vue des victimes, Martin Coiteux s'est dit « ému » par leur drame. « C'est pour ça que je ne veux pas qu'on laisse la table vide. Je veux m'assurer qu'on ait des règles sévères partout au Québec, dans toutes les villes. Ce ne sera pas des règles bonbon qui seront appliquées. »

Par exemple, « l'euthanasie va rester dans les cartons » pour un pitbull ou un autre chien qui aura attaqué une personne. « Si le comportement d'un chien laisse présager des risques, sans qu'il ait nécessairement attaqué une personne gravement, il y aura des normes d'encadrement extrêmement sévères. Dans les lieux publics, il n'y aura pas des chiens qui vont se promener comme ça en présence d'enfants ou de personnes aînées, peu importe. Tout ça demeure », a-t-il affirmé.

Martin Coiteux a reconnu que l'enjeu de l'interdiction des pitbulls avait provoqué des « discussions très animées » au sein du caucus libéral. Le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, réclamait que cette race soit bannie parce que, comme médecin, il avait déjà constaté les « dommages considérables » causés par une morsure.

« Qu'il n'y ait plus de pitbulls dans 10 ans, est-ce que ça va briser la chaîne alimentaire ? demande Lise Vadnais. Je ne pense pas. Je pense qu'en ciblant les pitbulls, ça aurait été positif pour tout le monde. »

- Avec la collaboration de Pierre-André Normandin, La Presse