Québec voit un intérêt «évident» à contribuer au projet ambitieux de creuser un tunnel reliant le Labrador à Terre-Neuve sous le détroit de Belle Isle. Un futur «lien fixe» attrayant pour le gouvernement québécois dans l'éventualité où il parvient à prolonger la route 138 sur la Côte-Nord jusqu'à Blanc-Sablon, un tracé routier attendu depuis des lustres.

«Autant du point de vue économique, de la circulation des marchandises que de la circulation des personnes, l'évidence est là. L'état des choses est contraire aux intérêts du Québec», a lancé hier le premier ministre Philippe Couillard en compagnie de son homologue terre-neuvien, Dwight Ball.

Les deux provinces voisines ont signé hier des ententes de coopération notamment en matière de transport routier et de développement minier, tout en faisant la promotion du projet de tunnel sous-fluvial, estimé à 1,7 milliard. Ce lien permettrait de relier Terre-Neuve au reste du pays, comme le fait le pont de la Confédération avec l'Île-du-Prince-Édouard.

Terre-Neuve-et-Labrador caresse d'ailleurs le projet depuis plusieurs années. En 2016, le premier ministre Ball a choisi de dépoussiérer une première étude de préfaisabilité réalisée en 2004 en commandant une mise à jour. Les résultats ont été rendus publics par Terre-Neuve mercredi dernier, à la veille de la visite prévue dans la capitale.

«Nous voyons des opportunités significatives», a assuré M. Ball. Le projet, qui devrait être financé selon un partenariat public-privé, aurait des retombées sur le tourisme, entre autres, mais aussi sur l'approvisionnement de la province en biens et services. Le premier ministre estime qu'environ 75% de l'approvisionnement pourrait venir du Québec et de l'Ouest.

Projet embryonnaire

Il est trop tôt pour chiffrer une éventuelle participation de Québec dans ce projet encore embryonnaire. Ces travaux d'envergure pourraient prendre une quinzaine d'années et Terre-Neuve-et-Labrador n'a pas encore donné le feu vert à la réalisation nécessaire d'une étude plus complète qui pourrait à elle seule coûter plus de 20 millions.

Reste que déjà, une contribution d'Ottawa est souhaitée. «Je crois qu'un projet semblable, qui unit deux provinces voisines, devrait recevoir une attention très favorable du fédéral, a affirmé M. Couillard. Lorsque nous serons au moment où des chiffres plus précis pourront être donnés [...] notre intention commune est de suggérer au fédéral qu'il participe.»

L'option la plus avantageuse, selon l'étude de la firme Hatch, serait l'aménagement d'un tunnel ferroviaire à une voie, construit à 20 mètres sous le fond marin. Une navette sur rail pourrait transporter les véhicules entre Point Amour, à 30 kilomètres à l'est de Blanc-Sablon, et Yankee Point, dans le nord de l'île de Terre-Neuve.

Si la distance entre les deux rives est estimée à une quinzaine de kilomètres, le tunnel, lui, pourrait mesurer jusqu'à 30 kilomètres. Pour l'heure, un traversier assure un service maritime quotidien entre St. Barbe, à Terre-Neuve, et Blanc-Sablon, au Québec. Un autre service maritime assure la liaison entre le sud de Terre-Neuve et la Nouvelle-Écosse.

Et la 138?

Québec trouverait son compte dans l'ajout d'un «lien fixe» entre le Labrador et Terre-Neuve si la route 138 atteint Blanc-Sablon. Le seul lien routier reliant la Côte-Nord au reste de la province s'arrête à Kegaska, à l'est de Natashquan. Actuellement, Blanc-Sablon n'est accessible par la route que si l'on emprunte la 510 au Labrador.

«On a une immense région qui va jusqu'à Blanc-Sablon et c'est juste une direction, c'est un sens unique : si vous voulez continuer, vous devez revenir sur vos pas. Ce n'est pas efficace comme façon de se déplacer», a illustré hier Philippe Couillard. Le tracé entre Kegaska et Blanc-Sablon est estimé à quelque 400 kilomètres et coûterait 1,5 milliard à construire.

Québec a réservé des sommes de 232 millions dans le cadre financier du Plan Nord 2015-2020 pour relier la Basse-Côte-Nord au reste du Québec. L'entente avec Terre-Neuve-et-Labrador prévoit aussi que les provinces «travailleront en étroite collaboration» pour l'amélioration de la route 138, mais aussi de la 389, qui rejoint le Labrador depuis Fermont.

«C'est une farce»

Mais les résidants de la Côte-Nord ne se souviennent plus depuis quand ils attendent le prolongement de la route 138. «C'est une farce», a réagi l'ex-maire de Blanc-Sablon Armand Joncas. Celui qui a été maire de 2005 à 2009 et de 2013 à 2017 entretient bien peu d'espoir de voir ces projets se concrétiser malgré l'union nouvelle des deux provinces.

«Les premiers ministres ont peut-être un bon vouloir, mais les fonctionnaires n'ont pas le même», affirme M. Joncas, qui a vu plus d'un ministre défiler en Basse-Côte-Nord.

«C'est du ridicule, les élections sont dans l'air et ça se sent.»

Il ne croit pas non plus en la viabilité d'un tunnel vers Terre-Neuve. «Celui qui a calculé ça ne sait pas compter.»

«Le dernier gars qui a parlé d'un projet de tunnel à travers le détroit, c'est Trudeau père. Il est venu en grande pompe dans les années 70 [...] pour faire un trou dans la terre de chaque bord, et l'année d'après, tout était fermé par manque d'argent et parce que l'économie était mauvaise», se souvient-il.

Le temps de se parler

Le préfet de la MRC du Golfe-du-Saint-Laurent, Randy Jones, est quant à lui loin de voir la nouvelle avec pessimisme. «C'est un changement de ton assez important pour l'ensemble du Québec. Québec et Terre-Neuve, c'est le temps qu'ils commencent à se parler. Quand Terre-Neuve parle de la route, je vois ça comme un atout pour la Basse-Côte-Nord», dit-il.

Il se souvient d'avoir participé à une mission à Ottawa, il y a une dizaine d'années, en compagnie de membres du gouvernement terre-neuvien, pour promouvoir l'idée du tunnel entre Terre-Neuve et le Labrador. «Personne ne nous a écoutés», affirme-t-il, indiquant que cette fois les choses pourraient se passer différemment avec l'appui des deux provinces.

«La 138 de Blanc-Sablon à Montréal, imaginez tout le trafic qui va faire la boucle [en revenant vers Terre-Neuve]. Ça va être une explosion de tourisme pour l'ensemble de la Côte-Nord», soutient-il. M. Jones a lui aussi été témoin de moult annonces, mais préfère garder l'espoir de voir un jour sa région reliée au reste du Québec.