Le Québec a accueilli plus de 500 Syriens l'an dernier, et près de 8000 demandeurs d'asile ont frappé à la porte à la frontière depuis six mois. Au même moment, le ministère de l'Immigration présente de graves lacunes de gestion. La francisation des nouveaux arrivants et leur intégration ne sont pas soumises à des contrôles rigoureux.

Dur verdict de la vérificatrice générale, Guylaine Leclerc, qui dépose son rapport de l'automne aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Ses observations sur la vente de trois immeubles de la Société immobilière du Québec, en 2007, mobiliseront l'attention des médias. La mission est délicate pour Mme Leclerc qui, comme juricomptable, avait déjà audité le même dossier, avec un mandat de la Société québécoise des infrastructures. Au surplus, l'Unité permanente anticorruption fait déjà enquête dans ce dossier qui touche des responsables du financement du Parti libéral du Québec, William Bartlett et Franco Fava. Mais l'appréciation de la vérificatrice à l'égard des pratiques du ministère de l'Immigration, de la Diversité et de l'Inclusion (MIDI) nécessitera des correctifs de la part du gouvernement.

Selon les sources de La Presse, la vérificatrice mettra en lumière l'absence de reddition de comptes dans deux volets importants des activités du Ministère, soit l'intégration et la francisation. Le MIDI accorde 16 millions pour l'intégration des nouveaux arrivants, sommes qui transitent par des organismes communautaires. 

La reddition de comptes est défaillante en matière d'intégration. Le Ministère négocie avec un organisme parapluie et n'a aucune idée de ce qui se passe sur le terrain.

D'autre part, le Ministère paie la note auprès des établissements d'enseignement pour la francisation des immigrés. Or, dans ces deux volets, le Ministère n'a pas de moyen d'apprécier l'efficacité de ses efforts, il ne peut évaluer la qualité des services rendus ni l'amélioration des compétences en français. Chez Emploi Québec, on relance les prestataires au téléphone trois mois après l'intervention du Ministère pour évaluer son succès. Rien de tel pour les interventions du MIDI, explique-t-on. Il y a déjà eu des visites des fonctionnaires de l'Immigration pour vérifier les activités d'intégration, mais cette pratique est disparue depuis belle lurette.

Sans contact avec leur clientèle, les fonctionnaires du MIDI atteignent des sommets de démotivation, indique-t-on en coulisse - les demandes de mutation des fonctionnaires du MIDI sont nombreuses, situation surprenante puisqu'il s'agit de l'un des rares ministères concentrés à Montréal.

Le gouvernement Couillard, à l'approche des élections, a retrouvé plus d'argent et s'apprête à infirmer deux décisions qui avaient été prises sous Kathleen Weil, à la fin de l'époque Charest. On envisage de rouvrir les bureaux régionaux, fermés en 2013 et 2014, au grand dam des syndicats de fonctionnaires. En outre, on redéploiera des effectifs à l'étranger - on parle d'une trentaine de personnes pour revamper une représentation réduite à sa plus simple expression au cours des dernières années.

« FIASCOS » INFORMATIQUES

Il y a quelques années, le bureau du Vérificateur général avait critiqué vertement la gestion du Ministère dans les dossiers informatiques. Cela ne fera pas l'objet de ses observations cette fois, mais d'autres sources indiquent que la situation ne s'est pas améliorée. Le changement de sous-ministre et de responsable de l'informatique n'a rien changé. 

À l'interne, on comprend que les deux systèmes mis en place au Ministère, « Imagine » et « Mon projet Québec », ne pourront finalement pas communiquer entre eux, incompatibilité qui supposera d'importantes et coûteuses modifications.

« Mon projet Québec » est l'histoire de « trois fiascos », confie-t-on. On souhaitait que les citoyens désireux de venir au Québec puissent remplir un formulaire en ligne plutôt que de poster leur demande. Cette plateforme destinée aux immigrants « économiques », travailleurs spécialisés sélectionnés par le Ministère, est si hermétique que les demandes d'assistance téléphonique mobilisent les lignes du Ministère, engorgées par de longs et pénibles échanges.

Sous Martin Coiteux, le Conseil du trésor avait posé bien des questions, une cellule de crise avait été créée au MIDI, mais les firmes informatiques - des dizaines de consultants travaillent encore quotidiennement au Ministère - s'étaient préparées et se sont dédouanées avec des études indiquant que les décisions avaient été prises par des cadres du MIDI.

L'autre programme informatique, « Imagine », a remplacé « Intime », la base de données centrale du Ministère, qui contient des milliers de dossiers pleins de renseignements personnels. En octobre 2015, la firme Deloitte avait accouché d'un rapport interne embarrassant sur la stratégie du Ministère dans le projet « Imagine ». En gros, on suggérait de mettre de côté l'équipe de gestion, les fonctionnaires, de « transférer certaines activités à un ou plusieurs prestataires de services » et de faire appel davantage au privé pour mener à bien le projet.

Photo Martin Tremblay, Archives La Presse

Près de 8000 demandeurs d'asile ont frappé à la porte à la frontière depuis six mois.