Le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau, a trouvé 42 cadres tablettés « pour toutes sortes de raisons » dans la fonction publique québécoise. Des fonctionnaires payés 100 000$ à ne quasiment rien faire ou, sinon, à n'exécuter que des tâches réduites.

« Il y en a qui sont en transition de carrière, il y en a qui sont là parce qu'ils vont être réaffectés à d'autres fonctions. Mais ces cas sont connus, dénombrés et sont pris en charge, dans la mesure où on dit qu'on ne souhaite pas que cette situation-là dure éternellement », affirme Pierre Moreau en entrevue à La Presse.

Il présente ces cadres comme « des gens qui sont payés alors que leur prestation de travail est réduite ou n'est pas donnée pour une raison que l'administration connaît et qu'elle vise à corriger ».

Ces cas sont exceptionnels, à ses yeux. Il y a 3200 cadres dans les 65 ministères et organismes assujettis à la Loi sur la fonction publique.

« Il n'existe pas dans la fonction publique un nombre démesuré de cas où des gens sont assis dans leurs bureaux » à se tourner les pouces, soutient-il.

Le «Gilles» de Patrick Lagacé

Pierre Moreau a lancé des vérifications sur les cadres fantômes ou tablettés le 15 mars. La veille, le chroniqueur de La Presse, Patrick Lagacé, racontait l'histoire de Gilles (nom fictif), fonctionnaire qui se disait payé 130 000 $ à ne rien faire, ou presque. Le ministre a chargé le secrétaire général du Trésor, Yves Ouellet, de lui rapporter les cas semblables dans la fonction publique.

Pierre Moreau a retrouvé Gilles. C'est l'un des 42 cadres tablettés que les ministères et organismes ont déclarés. 

« C'est très clair qu'on sait où il est, et je ne dis pas ça pour que ça ait l'air d'une chasse aux sorcières, au contraire. »

Selon lui, l'histoire racontée par Gilles « n'est pas complète ». « La situation est plus compliquée que ça ». Il n'a pas voulu donner de détails pour éviter de révéler l'identité du fonctionnaire. « On me dit que des mesures d'encadrement sont prises » en vue de corriger la situation.

« Le conflit va être réglé d'une façon ou d'une autre. Je ne peux pas présumer de l'issue et je ne veux pas préjudicier aux droits des parties, compte tenu de l'issue potentielle, ultime, de ce dossier-là », laisse-t-il tomber dans une formule intrigante.

Il insiste : « Il n'y a pas de raison que Gilles soit sanctionné parce qu'il a écrit à Patrick Lagacé. Ça n'a rien à voir. Ce qui m'importe, c'est de savoir si [les cadres] sont utilisés à leur plein potentiel, compte tenu du niveau de rémunération qu'ils ont, point à la ligne. »

«Un super vrai Gilles»

Pierre Moreau a découvert « un super vrai Gilles », selon sa propre expression. Un cadre payé à ne strictement rien faire, au vu et au de son supérieur. Il se trouve dans un organisme qu'il refuse de nommer. « C'est une pratique administrative inacceptable. Pour l'individu qui le subit, c'est un drame épouvantable. »

Yves Ouellet et ses acolytes ont rencontré le supérieur concerné pour le rappeler à l'ordre. Le « super vrai Gilles » est ainsi « affecté à de nouvelles fonctions depuis le 29 mars ».

Quant à la quarantaine d'autres cadres, ils sont tablettés en vue d'une réaffectation ou encore en raison de « situations personnelles » comme des problèmes de couple. Certains sont de retour d'un congé de maladie et ne peuvent plus s'acquitter des tâches pour lesquelles ils sont normalement payés. D'autres font l'objet d'une plainte, « et on choisit de les écarter temporairement ».

« Dans certains cas, ce sont des situations qui sont tristes. Les gens n'ont pas à en rougir. Dans n'importe quel organisme, ces situations-là se vivent. Des situations familiales qui deviennent intenables et qui créent des problèmes sur la capacité de faire le travail. Un moment donné, l'employeur dit : "On va te donner une pause." »

À terme, « il va se passer quelque chose » pour régulariser chaque cas, selon M. Moreau. Il entend faire un suivi.

Dans le compte rendu de ses vérifications, Yves Ouellet écrit que la quarantaine de cadres tablettés présentent « des situations relatives à des particularités administratives ou à une complexité de gestion ». « Celles-ci sont peu nombreuses et font l'objet d'une prise en charge par les organisations concernées », affirme-t-il dans une lettre datée du 5 avril. Il ajoute que « les cadres touchés offrent une pleine prestation de travail ».

Mais en entrevue, Pierre Moreau a nuancé passablement cette information en parlant de « prestation de travail [qui] est réduite ou n'est pas donnée ».

« La fonction publique du Québec est de très haut niveau. Je sais que dans ce domaine, tout le monde dit qu'il connaît quelqu'un qui est accoté sur une pelle et qui ne fait rien. Je sais ça, je ne suis pas déconnecté de la réalité. Mais dans les faits [...], il y a des cas, [mais] c'est exceptionnel. Et sur l'ensemble des gens qui ne fourniraient pas des prestations de travail tout en touchant leur rémunération, dans la très très large majorité des cas, ils sont encadrés et pris en charge. »

Deux appels à l'aide

Ce dénombrement est-il fiable ? Demander à un sous-ministre d'identifier les cadres tablettés revenait-il à lui demander de dénoncer sa propre turpitude ? « Je n'ai aucune raison de mettre en doute les conclusions », estime Pierre Moreau, rappelant que l'ordre venait du plus haut niveau, le Trésor, à titre d'employeur.

Il a reçu deux courriels de cadres qui « disent vivre la situation de Gilles ». « Faites quelque chose ! », ont-ils demandé, selon ce que rapporte le ministre. Ces fonctionnaires se trouvent parmi les 42 cas relevés, ce qui prouve à ses yeux la fiabilité des informations reçues. Leur appel a été entendu, et des mesures seront prises, affirme Pierre Moreau.

Une directive à venir

Depuis l'adoption de la Loi sur la gestion et le contrôle des effectifs, en décembre 2014, les ministères et les organismes sont tenus de faire un dénombrement régulier de leurs employés. Pierre Moreau entend envoyer une directive pour leur demander de préciser désormais « s'il y a à [leur] connaissance des gens qui touchent une rémunération sans fournir une prestation de travail ». Ils devront indiquer « les mesures qui seront mises en oeuvre pour que cette situation-là soit régularisée ». De cette façon, le gouvernement « va vers un plus grand contrôle », selon lui. « Un employé du niveau dont on parle dans l'article de Patrick Lagacé, qui est assis à son bureau à ne rien faire à la connaissance de son supérieur, c'est tout à fait inacceptable et c'est un mauvais principe de gestion. »

Photo Ivanoh Demers, Archives La Presse

Des 3200 cadres que comptent les 65 ministères et organismes du Québec, le président du Conseil du Trésor, Pierre Moreau, en a trouvé 42 que l'ont peut considérer tablettés.

PHOTO Jacques Boissinot, Archives La Presse canadienne

Le président du Conseil du trésor, Pierre Moreau