Dans la foulée de la corruption dévoilée par la Commission Charbonneau entre le monde de la construction et celui de la politique, la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, a déposé mercredi un projet de loi qui vise notamment à inciter les professionnels, comme les ingénieurs et les architectes, à dénoncer les gestes répréhensibles et illégaux.

Son projet de loi 98 se veut une réponse à quatre recommandations du rapport de la Commission Charbonneau portant sur l'octroi et la gestion des contrats publics dans l'industrie de la construction.

La mesure législative déposée mercredi a pour but de renforcer la gouvernance et l'éthique au sein des ordres professionnels et surtout, de mieux protéger le public, a dit la ministre en point de presse.

Pour inciter un professionnel à dénoncer des situations irrégulières, la loi, si adoptée, conférerait au syndic d'un ordre le pouvoir de lui accorder une immunité contre des plaintes disciplinaires s'il rapporte une infraction à laquelle il a participé.

Il s'agit de mieux protéger les dénonciateurs, a dit Mme Vallée.

Car dans le rapport Charbonneau, les lanceurs d'alerte sont considérés comme «l'une des clés, tant en matière de lutte à la corruption et à la collusion que pour empêcher l'infiltration du crime organisé dans l'économie légale».

Il avait aussi été recommandé dans le rapport de donner le pouvoir aux ordres professionnels de sanctionner les sociétés, comme les firmes de génie-conseil - et pas uniquement les professionnels. Mais cette recommandation ne fait pas partie du projet de loi.

Actuellement, «le Québec est la seule juridiction au Canada à ne pas permettre à un ordre d'imposer des sanctions disciplinaires à une société offrant des services professionnels en ingénierie même si celle-ci, par les gestes de ses plus hauts dirigeants ou propriétaires, encourage les professionnels à adopter des pratiques déviantes», est-il écrit dans le rapport de la Commission.

Mais le projet de loi frappe ailleurs.

Il accorde au syndic d'un ordre professionnel le pouvoir de requérir du conseil de discipline de suspendre ou de limiter provisoirement le droit de pratique d'un professionnel, s'il est poursuivi pour une infraction punissable de cinq ans ou plus de prison. Le syndic peut plutôt demander que soient déterminées les conditions selon lesquelles il pourrait continuer à travailler.

Cet article pourrait priver un professionnel de son gagne-pain pendant des années, tout au long du processus judiciaire, sans même avoir été condamné.

Questionné à savoir si cela viole la présomption d'innocence, le bureau de Stéphanie Vallée a répondu qu'il s'agit à cette étape d'un projet de loi qui sera étudié et débattu.

Et cet article du projet de loi fait suite à une demande formulée par le Barreau du Québec, a indiqué l'attachée de presse de la ministre, Émilie Simard.

Le Barreau a d'ailleurs diffusé un communiqué mercredi pour saluer le projet de loi 98 qui offre «un meilleur encadrement législatif».

La loi, si elle est adoptée, permettrait aussi à l'Office des professions - l'organisme de surveillance des ordres - d'enquêter de sa propre initiative sur un ordre professionnel, sans devoir obtenir au préalable le feu vert de la ministre de la Justice.

Le projet de loi propose aussi d'allonger le délai de prescription pour des poursuites pénales, sans toutefois excéder sept ans depuis la perpétration de l'infraction.

Il est aussi question d'imposer des obligations aux ordres, dont celle d'offrir une formation en matière d'éthique et de déontologie à ses membres.

Avec ce projet de loi, le gouvernement libéral dit avoir donné suite jusqu'à maintenant à 22 recommandations du rapport de la Commission Charbonneau.