La Coalition avenir Québec (CAQ) doute que le gouvernement libéral ait laissé un trou de 1,6 milliard dans les finances publiques, comme le prétend le ministre des Finances, Nicolas Marceau.

«Je ne suis pas prêt à accepter ce chiffre», a lancé mardi le chef de la CAQ, François Legault. Il accuse le gouvernement péquiste d'avoir gonflé cette estimation pour justifier l'abandon de certaines promesses.

 

M. Legault indique que les libéraux avaient récemment estimé à 800 millions le manque à gagner. Or, les chiffres des libéraux datent de juin, et ceux des péquistes datent d'août. Le chef de la CAQ n'a pas donné d'exemple concret pour justifier ses doutes.

 

L'ancien ministre libéral des Finances, Raymond Bachand, ne doute pas ouvertement du diagnostic de son successeur. «Mais ça me surprend, dit-il. Si M. Marceau dit qu'il respectera ses promesses (de limiter le déficit à 1,5 milliard), ça ne doit pas être si pire que cela», fait-il remarquer.

 

M. Legault accuse le gouvernement Marois de jouer «le même petit jeu que le gouvernement Charest» en affirmant, après son élection, que le précédent gouvernement a laissé un trou dans les finances publiques, pour ensuite «renier ses engagements». Peu après son élection, en 2003, M. Charest avait commandé un rapport qui soutenait que le gouvernement péquiste avait laissé un trou de 4,3 milliards.

 

Directeur parlementaire du budget: Drainville pas emballé

 

La CAQ a annoncé qu'elle déposera bientôt un projet de loi pour créer un poste de directeur parlementaire du budget. Pour assurer son indépendance, ce directeur serait nommé par l'Assemblée nationale, et non par le gouvernement.

 

Il remplirait deux rôles: premièrement, il donnerait un «portrait indépendant» des finances publiques, notamment avant les élections, pour éviter les mauvaises surprises comme celle dont s'est plaint le ministre Marceau. Deuxièmement, il permettrait aux députés de calculer le coût d'une mesure du gouvernement.

 

Le ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, réagit froidement: «Tout le monde est d'accord avec l'objectif. On veut améliorer la transparence et l'efficacité de l'État. Le débat n'est pas sur le fond. Il est sur les moyens.»

 

Avant de «créer une nouvelle structure dont on ne connaît pas lecoût» et dont l'utilité reste selon lui à démontrer, il faut d'abord vérifier si on pourrait confier de nouveaux pouvoirs au vérificateur général, dit M.Drainville.

 

Et ce n'est pas le changement prioritaire pour le vérificateur général, ajoute le ministre. Il faut d'abord lui permettre d'examiner les livres de sociétés d'État, souligne-t-il. La CAQ est d'accord avec cette demande.

 

Le gouvernement Marois serait malvenu de ne pas appuyer ce projet de loi, croit M. Legault. Il rappelle que, en février dernier, le PQ a proposé de créer un tel poste. Cela faisait partie des mesures qu'il suggérait pour rétablir la confiance des citoyens envers les institutions. Un directeur parlementaire permettrait «d'éviter le traficotage du portrait des financespubliques auquel nous a habitués le gouvernement libéral» et d'améliorer la«transparence» des débats, a écrit le PQ. Pauline Marois avait elle-même défendu cette mesure en conférence de presse l'hiver dernier. Mais le PQ avait abandonné cette idée lors de la dernière campagne électorale. Elle ne figurait pas dans son programme.

 

Les libéraux contre

 

Le Parti libéral (PLQ) s'y oppose. «La CAQ proposait d'alléger l'État, mais elle veut ajouter une structure alors qu'on essaie de revenir à l'équilibre budgétaire», dénonce Raymond Bachand, ex-ministre des Finances et candidat à la direction du Parti libéral.

 

Il ajoute deux autres objections: «Il existe déjà beaucoup de portraits indépendants des finances publiques», notamment ceux des institutions financières et des fonctionnaires ainsi que les analyses des agences de crédit. De plus, il soutient que le vérificateur général a déjà «beaucoup de pouvoirs». «Il peut faire des rapports particuliers sur les sujets de son choix, comme il l'avait fait sur la dette», souligne M. Bachand.

 

Pourquoi ne pas confier ce mandat au bureau du vérificateur général au lieu de créer un nouveau poste? François Legault répond que leurs mandats diffèrent. Le vérificateur examine les états financiers déjà publiés, alors que le directeur parlementaire regarderait plutôt en avant et estimerait le coût des mesures proposées.

 

Les fonctionnaires peuvent néanmoins estimer ces chiffres pour le gouvernement. La proposition de la CAQ constitue-t-elle un désaveu pour eux? «On peut leur demander de calculer toutes sortes d'hypothèses», répond M. Legault. «Je crois beaucoup à la responsabilité ministérielle», ajoute-t-il.

 

Il existe un poste similaire aux États-Unis depuis 40 ans, le Congressional Budget Office. Au Canada, le bureau du directeur parlementaire du budget a été instauré en 2006. Il emploie 18 personnes, dont quatre stagiaires. Son budget annuel est de 2,8 millions dedollars.

 

La CAQ estime que ce poste coûterait moins cher au Québec et qu'il serait rentable, car il permettrait de prévenir le gaspillage.

 

À Ottawa, le directeur du budget, Kevin Page, a déjà mis le gouvernement conservateur dans l'embarras, notamment en révélant d'importants dépassements de coût dans l'achat des avions de chasse furtifs F-35. Ils coûteraient plus de 29 milliards dedollars, soit deux fois plus que prévu.

 

Québec solidaire prête l'oreille

 

Québec solidaire (QS) croit que la proposition caquiste mérite d'être examinée. «QS est très ouvert à discuter de l'idée d'un directeur parlementaire du budget pour le Québec, a déclaré Amir Khadir. Tout ce qui favorise plus de transparence de la part du gouvernement et de ses sociétésd'État mérite d'être étudié. Après avoir passé des années sur les banquettes de l'opposition à réclamer plus de transparence, on peut espérer que le gouvernement Marois sera cohérent et se montrera ouvert aux propositions del'opposition en ce sens.»