Elles apparaissent et disparaissent. Elles sont actives quelques semaines, quelques mois, envoient des travailleurs aux fermes maraîchères ou des manoeuvres à des employeurs surchargés, puis elles plient bagage sans avoir payé leur dû à Revenu Québec, sans avoir versé la TVQ et la TPS pourtant perçues sur leurs services.

Au ministère des Finances comme à Revenu Québec, la prolifération des «agences de placement» est inquiétante. Cette année, c'est 17 millionsde dollars de cotisations - des factures qui ont été envoyées aux agences dont on a toujours la trace, soit 2300 avis concernant des employeurs, indique Manon Tremblay, directrice des communications à Revenu Québec.

Selon les informations obtenues par La Presse, Revenu Québec a pu récupérer près de 3 milliards de dollars d'évasion fiscale pour sa première année d'activité.

Le Bureau de la lutte contre l'évasion fiscale doit faire aujourd'hui son bilan, un an après sa création - le ministère du Revenu a été transformé en unité autonome l'année dernière. Au budget du printemps 2011, le ministre des Finances, Raymond Bachand, avait demandé de récupérer 150 millions supplémentaires aux 320 millionsrecueillis l'année précédente.

Quand on ajoute ces sommes à la récupération de 2,4 milliards que faisait chaque année Revenu Québec, le total est de 2,9 milliards de dollars pour l'année 2011-2012. L'an dernier, M. Bachand avait précisé avoir «fait de la lutte contre l'évasion fiscale un des grands volets du plan de retour à l'équilibre budgétaire».

En dehors des secteurs connus de la construction et de la restauration, de nouveaux voyants rouges se sont allumés, plus récemment, au tableau de bord de Revenu Québec. Dans le secteur maraîcher, «les agences apparaissent, ferment et rouvrent constamment sous un autre nom», constate André Plante, président de l'Association des jardiniers maraîchers du Québec, qui compte 300 membres. «Ces agences sont pour nous un mal nécessaire», explique-t-il. Les maraîchers sont régulièrement aux prises avec des problèmes urgents de main-d'oeuvre et ces intermédiaires, souvent maghrébins, asiatiques ou sud-américains, proposent les services de leurs employés sans qu'on puisse vérifier si le salaire minimum leur est bel et bien versé.

De plus, les taxes sont plus difficiles à cueillir que les fraises. Revenu Québec a voulu imposer des processus fastidieux de contrôle, inscrire chaque employé et son numéro d'assurance sociale, par exemple, relève M. Plante. Les maraîchers et le gouvernement discutent d'une autre avenue: l'employeur prélèverait lui-même les taxes à verser, qu'il soustrairait de la facture de l'agence de placement. Une mesure qui ferait fuir les faussaires, selon M. Plante.

Au ministère des Finances, on décrit comme un véritable fléau ces entreprises, souvent gérées par des représentants de communautés ethniques, qui s'occupent de placer des compatriotes. En novembre dernier, Revenu Québec a senti le besoin de leur rappeler leurs obligations en leur soulignant qu'elles devaient remettre des versements périodiques au gouvernement pour la Régie des rentes, pour le Fonds santé et pour la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). En plus des sommes dues, les firmes délinquantes s'exposent à des amendes pouvant atteindre 200% des sommes soustraites à l'impôt.

On évalue que chaque employé qui travaille au noir par l'entremise de ces firmes prive le fisc de revenus oscillant entre 4000$ et 6500$ selon sa condition familiale, explique Mme Tremblay. Le problème, c'est que Québec ignore combien de salariés passent par ce couloir illicite.

Revenu Québec défriche depuis peu un nouveau champ de fraude, la «planification fiscale abusive». Ce sont des sociétés ou des individus qui, pour échapper au fisc, font transiter leurs recettes par des comptes à l'étranger ou qui échafaudent des stratagèmes pour échapper à l'impôt.

Une direction particulière avait été mise sur pied en 2009 par Revenu Québec pour ce type d'infractions, avec le mandat de collaborer avec les autres agences de revenu au Canada pour échanger de l'information. Pour l'année 2011-2012, la mise au jour de ce type de stratagème a permis à Revenu Québec de récupérer 80 millions de dollars.