Depuis 2004, le ministère des Transports du Québec (MTQ) a versé près de 60 millions à des entreprises du domaine de la construction dans le cadre d'ententes et de règlements à l'amiable à la suite de réclamations pour des dépassements de coûts, a appris La Presse. Mais Québec garde secret le total des «extras» réclamés depuis 2005 par chacune des plus grandes firmes de construction et de génie-conseil.

Selon les documents fournis par le MTQ en vertu de la Loi sur l'accès à l'information, c'est la firme Neilson inc., de la famille Fava, qui a empoché la plus importante somme à titre de réclamation, soit 6,5 millions de dollars. Franco Fava, connu pour ses activités de bailleur de fonds du Parti libéral du Québec, a été longtemps administrateur de Neilson.

Il s'agit du total de deux règlements enregistrés pour les années financières 2009-2010 et 2010-2011. Parmi les cinq entreprises en tête de la liste des réclamations, derrière Neilson, figurent d'autres acteurs importants de l'industrie.

C'est la firme de génie-conseil Aecon qui remporte la palme du plus important règlement à l'amiable (4,5 millions - contrat de 2002 sur la route 132, secteur de Candiac) sur un total de 5,2 millions. Suivent Les Grands Travaux Soter ainsi que EBC, entrepreneur général du CHUM et partenaire de Neilson sur le chantier de La Romaine.

Construction Demix, spécialisée dans les routes en béton, est en cinquième place.

À elles seules, 10 firmes ont récolté 60% des sommes versées par Québec.

Ces sommes ne correspondent pas au total réclamé par les firmes à titre de dépassements de coûts par rapport à la valeur originale du contrat qui leur a été accordé, confirme Guillaume Durivage, de Transports Québec. Il s'agit plutôt, dans la presque totalité des cas, du fruit d'une entente après étude de la réclamation par une unité spécialisée indépendante du Ministère. Pour le reste, il s'agit d'un règlement à l'amiable survenu après qu'une des parties insatisfaites de l'offre de règlement se fut adressée aux tribunaux.

«En moyenne, chaque année, le Ministère reçoit 43 réclamations et règle pour 6,7 millions depuis 2001», précise M. Durivage.

Dans son rapport rendu public le mois dernier, Jacques Duchesneau révèle qu'«un contrat de 500 millions de dollars génère des réclamations d'une valeur de 15 millions de dollars et le Ministère offre environ 5 millions en règlement, soit le tiers de la réclamation originale». Et il ajoute: «Plusieurs de ces réclamations ont été effectuées par des habitués, comme pour se reprendre après des soumissions trop basses.»

Chasse à l'extra

La Presse a voulu obtenir la liste nominative des firmes de génie et de construction ayant soumis des réclamations depuis 2005 ainsi que les sommes en jeu, mais Transports Québec a opposé une fin de non-recevoir au prétexte que cela «nuirait aux activités du Ministère». Les Transports accordent annuellement, depuis trois ans, près de 4 milliards de dollars en contrats d'infrastructures.

Le rapport Duchesneau détaille certains des stratagèmes les plus classiques et révèle même l'existence, au sein des grandes firmes, d'un «service juridique» qui a pour mission «dès la signature d'un contrat important [...] de rechercher les failles», préludes à des réclamations ultérieures. Ces mercenaires des «extras» toucheraient une commission de 10% de la somme supplémentaire obtenue.

Dans une note adressée au sous-ministre en 2003, un ingénieur du Ministère a recommandé de responsabiliser, en introduisant la notion de partage de risques, les firmes de génie lorsqu'elles ont causé les dépassements de coûts. Lors de sa comparution en commission parlementaire, Jacques Duchesneau a remis sur la table la notion d'imputabilité, tout en dénonçant la perte d'expertise au sein même du Ministère.

Depuis, le MTQ a annoncé l'embauche d'un millier de techniciens, dont des centaines d'ingénieurs.

Le porte-parole du Ministère ajoute que le ministre Pierre Moreau a aussi annoncé des mesures pour resserrer le processus de traitement des réclamations. De plus, avant d'accorder un contrat, le Ministère scrutera les antécédents de l'entrepreneur pour vérifier, entre autres, s'il n'est pas un habitué des extras. «On veut éviter ces pratiques un peu malsaines», conclut Guillaume Durivage.

- Avec la collaboration de William Leclerc