Avis aux criminels: il sera beaucoup plus difficile de se servir des bureaux de change pour blanchir des fonds au Québec. Le gouvernement vient de publier une réglementation stricte à ce sujet, qui fait suite à l'adoption d'une loi, en décembre.

Enquêtes policières, inspections, registres de transactions: le gouvernement n'y va pas de main morte pour mettre de l'ordre dans cette industrie. Et, fait étonnant, le Québec sera la première province à réglementer ce qu'on appelle globalement les «entreprises de services monétaires» ou ESM.

Le projet de règlement a été rendu public le 10 juin. Une période de consultation de 30 jours a ensuite été déclenchée et les intervenants de l'industrie ont donc jusqu'au 11 juillet pour se manifester. Les règlements entreront en vigueur au début de 2012.

Le projet vise les bureaux de change et les centres d'encaissement de chèques, mais également tous les guichets automatiques privés (autres que ceux des banques ou des caisses Desjardins). La réglementation sera administrée par l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Actuellement, il n'existe pas d'encadrement spécifique des bureaux de change, explique le responsable du dossier à l'AMF, Eric Stevenson. L'AMF a répertorié 365 centres d'encaissement et bureaux de change au Québec, qu'ils aient pignon sur rue ou soient nichés au fond de petits restaurants de Montréal. Quant aux guichets automatiques, il y en a environ 5600 au Québec.

Avant d'adopter sa loi, le gouvernement a clairement fait part de son intention de lutter contre la criminalité économique. «Des enquêtes policières ont démontré que des ESM sont, à leur insu ou en toute connaissance de cause, souvent utilisées comme facilitateurs d'activités illégales telles que la fraude fiscale et le blanchiment d'argent», était-il écrit dans le budget de 2010.

Tous les centres devront obtenir un permis pour exploiter leur commerce. Ce permis devra indiquer une foule de renseignements, comme les coordonnées des actionnaires, dirigeants et employés (nom, adresse du domicile, date de naissance, etc.), mais aussi le nom des personnes qui dirigent véritablement l'organisation. «Il est interdit d'être le prête-nom d'une personne», précise la loi.

Les dirigeants et actionnaires devront également attester qu'ils n'ont pas été reconnus coupables d'une infraction criminelle ou pénale au cours des 10 années précédant l'émission du permis. Même le prêteur de l'entreprise devra faire une telle attestation s'il ne fait pas partie d'une institution financière reconnue.

Avant de délivrer un permis, l'AMF fera faire une enquête par la Sûreté du Québec (SQ). Ce «rapport d'habilitation sécuritaire» de la SQ indiquera la présence ou l'absence d'antécédents judiciaires et s'assurera des bonnes moeurs des personnes liées au bureau.

Les clients passés au crible

Les dirigeants ne seront pas les seuls à être passés au crible. Tous les clients qui encaissent un chèque, quelle que soit la valeur, devront fournir au bureau de change leurs nom, date de naissance et numéro de téléphone à domicile, de même que leur occupation principale ou la nature de leurs activités.

Les clients devront aussi fournir ces renseignements s'ils désirent faire un transfert de fonds de 1000$ ou plus par jour ou réaliser une ou plusieurs opérations visant les chèques de voyage, traites bancaires ou mandats excédant 3000$ par jour. Les ESM devront également tenir un registre des opérations «permettant de démontrer la traçabilité des transactions» (date, heure, coordonnés du client, etc.).

Dans le cas des guichets automatiques, l'exploitant devra indiquer la provenance précise des fonds et le moyen de transport d'argent utilisé pour l'approvisionnement.

À la moindre incartade, l'AMF aura le pouvoir d'agir. Le chien de garde des marchés financiers pourra entamer des processus pour révoquer des permis, bloquer des fonds et imposer des amendes aux délinquants allant jusqu'à 250 000$.

Pour offrir le service d'encaissement de chèques, une ESM devra verser un droit de 600$ à l'AMF. Un bureau qui offrirait aussi le change de devises, le transfert de fonds et le rachat de chèques de voyage devra ajouter des droits de 1800$. L'exploitation d'un guichet coûtera 350$.

L'AMF estime qu'elle obtiendra environ 2,5 millions de dollars de revenus annuels grâce aux droits et autres tarifs. Ces revenus permettront d'autofinancer l'administration de la réglementation.