À la mi-cinquantaine, après une fructueuse carrière dans les médias commencée comme journaliste et terminée comme propriétaire et gestionnaire de stations de radio, Pierre Arcand aurait pu se retirer avec ses millions pour jouer au golf ou chasser les papillons. Il a préféré se lancer dans la politique. Portrait d'un néophyte qui apprend vite.

La politique, c'est comme n'importe quel métier, ça s'apprend. C'est ce que Jean Charest a dit à Pierre Arcand au lendemain de sa première victoire électorale dans Mont-Royal, en 2007. À l'époque, Pierre Arcand était une recrue vedette du Parti libéral. En plus d'être le frère du redoutable animateur Paul Arcand, il est le gendre de Francine Chaloult (l'attachée de presse de Céline), le mari de Dominique Chaloult (la patronne démissionnaire des variétés à Radio-Canada), le neveu par alliance de Suzanne Lévesque et celui qui a lancé la carrière radio de Normand Brathwaite comme de Lucien Francoeur. Il arrivait chez les libéraux avec une fortune personnelle de plusieurs dizaines de millions et une carrière exemplaire de gestionnaire et d'entrepreneur.

Après avoir hérité de l'ancienne circonscription de Philippe Couillard, Pierre Arcand semblait promis aussi bien à la victoire électorale qu'à un important ministère. Pourtant, au lendemain de son élection, le nouveau député de Mont-Royal a plutôt été invité à prendre son mal en patience et à faire ses classes. D'avril 2007 à avril 2008, Pierre Arcand a été adjoint parlementaire au ministère du Développement économique et au ministère du Tourisme. Pour un homme habitué à être le patron et à n'avoir de comptes à rendre à personne, l'exercice d'humilité ne devait pas être évident.

Deux ans plus tard, sous les hauts plafonds de la première Bourse de Montréal devenue un hôtel chic du Vieux-Montréal, Pierre Arcand, maintenant ministre des Relations internationales, confirme la pointe de déception qu'il a ressentie.

«Si j'ai été déçu? Oui et non. Oui parce que, comme n'importe qui en politique, on espère toujours qu'on va jouer un rôle plus ou moins important. Mais non, parce que M. Charest m'a bien expliqué que la politique, c'est un métier et que, pour y faire sa marque, il faut comprendre comment ça fonctionne. Or, en l'espace de 18 mois, par mes fonctions d'adjoint à l'Économie puis aux Finances et au Conseil du Trésor, j'ai eu un cours intensif où j'ai appris énormément et qui m'a bien préparé aux fonctions que j'occupe en ce moment.»

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Le rendez-vous avec Pierre Arcand a été pris avant que n'éclate l'affaire des règles d'éthique. Jusque-là, le parcours du ministre des Relations internationales avait été discret et sans gaffe majeure. À l'exception d'un point de presse où il avait candidement parlé de ses futurs voyages plutôt que de ses futures missions (chose qu'il a vite corrigée), sa feuille de route de ministre était bonne.

Tout dernièrement, à l'étude des crédits de son Ministère avec Louise Beaudoin, plusieurs pensaient que le néophyte se ferait manger tout rond par la politicienne aguerrie. Il n'en fut rien. «Non seulement l'étude des crédits n'est pas un exercice d'affrontement, plaide Louise Beaudoin, mais en plus Pierre Arcand est un gentleman, un homme civilisé et intelligent, d'un autre niveau que son prédécesseur (Monique Gagnon-Tremblay). Il écoute, il veut comprendre. Malheureusement, conclut l'ex-ministre, il croit au fédéralisme et va donc rester dans le rang quand il s'agira de défendre la présence du Québec sur la scène internationale.»

Reste que, à son retour d'une mission en Allemagne et en France il y a 10 jours, le problème de Pierre Arcand n'était pas son fédéralisme. C'était ses intérêts dans Métromédia Plus, une entreprise d'affichage dans le métro et sur les autobus. Pour lui permettre de garder ses actions dans l'entreprise, le premier ministre Charest a modifié les règles d'éthique du gouvernement. Arcand l'a appris en descendant de l'avion. Les journalistes l'attendaient de pied ferme. Il ne s'est pas défilé. Il a répondu aux questions en affirmant qu'il avait toujours fait preuve de transparence et qu'il n'avait rien à se reprocher. Il le croit encore.

«Dès que j'ai été élu, je suis allé voir le jurisconsulte Claude Bisson et j'ai déclaré tous mes intérêts. Après examen de ma situation, il m'a assuré que tout était beau et qu'il n'y avait aucun conflit d'intérêts. Je pensais que tout était réglé et c'est pourquoi je n'ai jamais demandé au premier ministre de modifier quoi que ce soit pour moi.»

Le seul problème avec cet argument, c'est que Pierre Arcand est allé chez le jurisconsulte alors qu'il était député et non ministre. Or, les règles sont plus strictes pour un ministre dont le dossier doit être examiné par les gens du Conseil exécutif. Ce sont eux qui ont vu que ses intérêts dans une entreprise qui pourrait un jour faire affaire avec le gouvernement étaient problématiques. Ils l'ont signalé au premier ministre, qui a choisi d'assouplir les règlements.

Évidemment, Jean Charest aurait pu demander à Pierre Arcand de se départir de ses actions. Pierre Arcand aurait pu lui-même le proposer. Mais de toute évidence, ce n'est pas dans la philosophie libérale. Comme l'explique Hugo D'Amours, l'attaché de presse de Jean Charest: «Si nous voulons avoir des gens de qualité en politique, des gestionnaires de premier plan comme M. Arcand, nous devons faire des accommodements. Notre objectif, ce n'est pas de les dépouiller de tout ce qu'ils ont.»

La remarque n'est pas sans saveur puisque, pour dépouiller Pierre Arcand de ce qu'il a, il faudrait quelques camions de la Brink's. Depuis 2001, année où il a vendu à Corus Entertainment le réseau de radios acquises avec son associé Pierre Béland pour la modique somme de 165 millions, Pierre Arcand vaut plusieurs dizaines de millions. Même s'il refuse de chiffrer sa valeur financière, il confirme qu'il est indépendant de fortune. Pourquoi alors avoir gardé des actions de Métromédia Plus?

«Au moment de la transaction avec Corus, notre compagnie d'affichage était à vendre avec tout le reste. Mais Corus n'en a pas voulu, alors on a décidé de la garder. C'est aussi simple que ça», répond Pierre Arcand sans toutefois expliquer pourquoi il n'a pas vendu ses actions puisqu'il n'avait plus exactement besoin de l'entreprise pour vivre.

En guise de réponse, il se rabat sur la future loi sur l'éthique qui devrait bientôt voir le jour et qui, selon lui, clarifiera tout. En attendant, Pierre Arcand semble plus préoccupé par l'économie que par l'éthique.

«Quand j'étais président de Corus Québec, ça me mettait hors de moi de constater le piètre état de l'économie québécoise. Pendant que l'Alberta, la Colombie-Britannique et l'Ontario avaient des taux de croissance fabuleux, au Québec il ne se passait rien. C'est vraiment ça qui m'a poussé vers la politique. Je me suis dit que si je pouvais faire le début d'une modeste différence au plan économique, ça valait le coup.»

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Né en 1951 à Saint-Hyacinthe, Pierre Arcand a été le premier des cinq garçons de la famille à faire de la radio après des études aux HEC. L'animateur Michel Viens, qui a fait ses débuts avec lui à CKBS, rappelle que le futur ministre, à l'époque, couvrait la lutte et qu'il a peut-être même présenté Abdullah the Butcher lors d'une soirée de lutte à l'aréna de la région.

À son souvenir, Arcand avait une belle présence radiophonique et une grande facilité à s'exprimer et à improviser au micro. Il aurait pu aisément devenir une vedette de la radio comme son jeune frère. Mais assez rapidement, son intérêt pour la gestion a éclipsé toute velléité de vedettariat. Suzanne Lévesque se souvient de lui comme d'un patron souple et agréable doublé d'un grand stratège.

Stratège, en effet. En 10 ans, il est passé de directeur de l'info de CKAC à vice-président de Télémédia. Mais devant le refus du propriétaire de laisser ses cadres devenir actionnaires, il a fait partie de la bande des quatre cadres qui ont claqué la porte de Télémedia. Pendant que Paul-Émile Beaulne et Normand Beauchamp achetaient Radiomutuel, Arcand et son associé Pierre Béland hypothéquaient leurs maisons pour acquérir CFCF et CFQR, des stations en déclin qu'ils ont redressées brillamment.

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«Un des moments les plus heureux de ma vie, raconte Arcand, c'est le jour où le directeur des programmes de CFQR, qu'on avait rebaptisée Q92, m'a annoncé qu'on venait de battre toutes les stations anglophones de la ville. Pourtant, tout le monde nous avait dit qu'on n'y arriverait jamais parce qu'on ne connaissait pas ce marché-là. Battre les Anglais sur leur propre terrain a été une de mes grandes joies professionnelles.»

Aujourd'hui, c'est la politique qui semble avoir pris le relais au plan de la satisfaction professionnelle. À l'entendre, rien, absolument rien ne lui déplaît dans son nouveau job. «J'adore la politique. Ça a toujours été le cas. Il n'y a pas un jour où je regrette ma décision. La politique ne peut pas tout changer, mais elle demeure à mon avis un véhicule important pour le changement, surtout en ce moment. D'ailleurs, on dit toujours que la population ne fait plus confiance aux politiciens. Pourtant, en campagne électorale, ce qui m'a le plus surpris, c'est le respect que je sentais dans le regard des gens quand je les rencontrais.»

Pierre Arcand ne sait pas ce que l'avenir lui réserve. Mais à voir les égards dont il est l'objet au gouvernement, il risque de nouveau de gravir plusieurs échelons avant d'en descendre un.