Le Canada exhorte ses plus proches alliés en matière de services d'espionnage - les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Australie et la Nouvelle-Zélande - à demeurer aux aguets relativement à la montée de groupes radicaux prêchant la suprématie de la race blanche.

Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, estime qu'il est important que le Canada et ses principaux alliés restent vigilants face à ces mouvements qui ont fait la manchette à Québec, la fin de semaine dernière, et à Charlottesville, en Virginie, aux États-Unis, il y a 10 jours, soulignant que la radicalisation et l'incitation à la violence ne se limitent pas à des groupes islamistes.

La préoccupation du gouvernement Trudeau à ce sujet est telle que le ministre Goodale a demandé à ce que cette question soit inscrite à l'ordre du jour de la réunion du Groupe des cinq (les Five Eyes, en anglais) - une alliance qui regroupe les services de renseignement du Canada, de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande, du Royaume-Uni et des États-Unis - qui a eu lieu en juin à Ottawa.

Dans une entrevue conjointe accordée à La Presse et au quotidien The Globe and Mail à son bureau d'Ottawa, hier, M. Goodale a indiqué que cette question devrait également figurer à l'ordre du jour de la prochaine rencontre fédérale-provincale des ministres de la Justice et de la Sécurité publique, qui doit avoir lieu à Vancouver le 13 septembre.

«C'est un enjeu que nous avons aussi soulevé dans le passé. Les autres pays se sont montrés réceptifs. Nous tenions à souligner que la radicalisation qui mène à la violence et à l'extrémisme provient d'une panoplie de sources. Il serait stupide de croire qu'il n'y a qu'une source qui mène à la radicalisation et à la violence. Il y en a plusieurs», dit M. Goodale.

Sans dévoiler la teneur des discussions de la rencontre du Groupe des cinq, le ministre Goodale a souligné que les alliés britanniques ont immédiatement donné leur appui à la suggestion du Canada, d'autant plus que la Grande-Bretagne a été fortement ébranlée par le meurtre de la députée travailliste Jo Cox, survenu en juin 2016, alors que la campagne référendaire sur le Brexit tirait à sa fin.

En novembre, Thomas Mair, un extrémiste de droite, a été reconnu coupable du meurtre de Mme Cox, une députée qui défendait l'appartenance à l'Union européenne et les droits des réfugiés. Le tribunal a établi que Mair, qui possédait de la littérature nazie à son domicile, avait agi par idéologie politique.

En entrevue, M. Goodale a soutenu que les autorités doivent redoubler d'ardeur pour contrer les messages véhiculés par les groupes suprémacistes et néonazis de tout acabit, qui n'hésitent pas aujourd'hui à utiliser les réseaux sociaux pour répandre leur haine. 

«Oui, cela représente un plus grand défi. Mais je fais aussi beaucoup confiance à la bonne volonté, aux bonnes intentions et au grand coeur des Canadiens. Je pense que l'idée de l'inclusion, de la diversité, du respect a toujours eu le haut du pavé au pays et que cela va continuer. Mais il ne faut jamais rien tenir pour acquis», a-t-il dit.

Leçons d'histoire

Le ministre a rappelé certains événements peu glorieux de l'histoire canadienne pour justifier l'appel à la vigilance.

«On n'a qu'à penser à certains moments de notre histoire pour s'en convaincre. L'internement des Ukrainiens durant la Première Guerre mondiale, l'internement des Japonais durant la Seconde Guerre mondiale, la taxe sur les Chinois, le MS Saint-Louis, l'élection provinciale en Saskatchewan en 1929 qui a permis l'élection d'un gouvernement de droite sur la base d'une campagne menée par le Ku Klux Klan, une petite note de notre histoire que bien des gens ne savent pas. Mais c'est là, c'est arrivé. Heureusement, à l'élection suivante, ces gens ont été chassés du pays. Il y a eu une période délicate, entre 1929 et 1934, durant laquelle la Saskatchewan aurait pu basculer dans une mauvaise direction», a lancé M. Goodale, qui représente la circonscription saskatchewanaise de Wascana à la Chambre des communes depuis plus de 20 ans.

«Plus récemment encore, les pensionnats autochtones, l'absence de réconciliation, les graffitis et le vandalisme dont ont été la cible certaines mosquées et synagogues et d'autres lieux de culte. On peut aussi penser à la fusillade de Sainte-Foy. Pourquoi six Canadiens, et je le dis avec force, six Canadiens ont-ils été tués? Parce qu'ils priaient dans une mosquée. Alors, il faut être aux aguets en tout temps. Même si je pense que ces messages ne gagneront jamais en crédibilité auprès de la vaste majorité des Canadiens, il faut être alerte quant aux risques que cela représente», a-t-il ajouté.

À la recherche d'un expert international

Le gouvernement Trudeau a fait de la lutte contre la radicalisation menant à la violence sous toutes ses formes, y compris l'extrémisme de droite, l'une de ses priorités en matière de sécurité nationale. À cette fin, le ministre Goodale a annoncé en juin la création du Centre canadien d'engagement communautaire et de prévention de la violence (CCECPV). Ce nouvel organisme dispose d'un budget de 35 millions de dollars pour les cinq prochaines années, et son budget annuel passera ensuite à 10 millions.

«Il y a des groupes et des centres qui travaillent déjà sur cela au pays. Le Centre de prévention de la radicalisation à Montréal est l'un des meilleurs. [...] Il y a beaucoup d'expertise, mais c'est un peu éparpillé et il n'y a pas de coordination à l'échelle nationale. Le CCECPV vise donc à être un centre d'excellente et de coordination où les meilleures informations sont réunies pour mieux comprendre ce phénomène et mieux le combattre», a dit M. Goodale.

En plus du nouveau centre, le gouvernement veut s'adjoindre les services d'un conseiller senior sur cette question. «Nous menons une campagne de recrutement internationale afin d'obtenir la personne qui aura l'étoffe et les compétences pour nous donner une perspective internationale au sujet de cet enjeu. Car c'est en définitive un phénomène international.»

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Ralph Goodale.