Le premier ministre Justin Trudeau juge troublantes les informations selon lesquelles des policiers de la Gendarmerie royale du Canada ont voulu espionner les déplacements et appels téléphoniques d'un journaliste de La Presse pour démasquer la source qui lui avait fourni des informations sur les plans terroristes attribués à Adil Charkaoui.

Estimant que la liberté de la presse fait partie des fondements d'une saine démocratie, M. Trudeau a aussi indiqué que son gouvernement examine cette affaire sous toutes ses coutures afin de déterminer s'il y a des correctifs qui doivent être apportés.

En point de presse jeudi à l'issue d'une réunion de son cabinet, M. Trudeau a affirmé qu'il défendra avec énergie la liberté de la presse en tant que premier ministre.

«J'ai toujours reconnu le principe et la valeur de la liberté de la presse. Une presse forte et indépendante est un fondement important d'une démocratie forte et en santé. Les questions que vous soulevez feront l'objet d'un examen. Il est important de s'assurer que nous avons une presse forte et libre qui est capable de faire son travail. C'est ce que j'appuie », a affirmé M. Trudeau en réponse à une question d'une journaliste du quotidien Toronto Star.

En français, M. Trudeau a ajouté : « Je sais que la presse joue un rôle extrêmement important dans le bon fonctionnement de notre démocratie et de toute démocratie. Je continue de vouloir défendre la liberté de la presse. Évidemment, sur ces enjeux troublants, j'attends d'en savoir un peu plus. Mais vous pouvez être assurés que la liberté de la presse en est une que je prends très au sérieux ».

Des documents classés « top secret » déposés en Cour fédérale cette semaine ont démontré que des policiers de la GRC ont déployé des efforts importants dans l'espoir d'identifier et d'accuser la source qui avait discrètement transmis à La Presse une étude décrivant les intentions d'Adil Charkaoui.

En 2007, les journalistes Joël-Denis Bellavance et Gilles Toupin avaient dévoilé dans La Presse le contenu de cette étude du Service canadien de renseignement de sécurité (SCRS). Les espions canadiens y relataient notamment une conversation d'Adil Charkaoui qui évoquait un plan pour détourner un avion. Adil Charkaoui a toujours nié l'existence de cette conversation.

La GRC avait déterminé que le document obtenu par La Presse était authentique. Elle voulait identifier la source qui l'avait remis aux journalistes. Les policiers ont donc voulu lancer une équipe de filature aux trousses du reporter Joël-Denis Bellavance. Étant donnée la nature particulière de la cible, correspondant parlementaire dans un grand quotidien, ils ont dû obtenir une autorisation spéciale d'un gestionnaire de ce qu'on appelait le «secteur sensible».

Les policiers ont aussi demandé l'autorisation d'intercepter les numéros des appels entrants et sortants (mais pas le contenu des conversations) du téléphone du journaliste, une procédure appelée DNR, pour Dial number recorder.

«L'approbation du secteur sensible a été obtenue pour la surveillance du journaliste, mais le DNR n'a pas été approuvé, diminuant ainsi la possibilité d'identifier le responsable», précisent les policiers dans les documents datés de décembre 2008.

Les enquêteurs prévoyaient à l'époque de distribuer des questionnaires à toute personne qui avait eu en main les documents compromettants sur Adil Charkaoui. «Il est à prévoir que le processus de questionnaires générera des communications entre la source et le journaliste, qui devraient fournir une opportunité d'observer la rencontre», écrivent les policiers. Ceux-ci ajoutent qu'il faudra d'abord obtenir une nouvelle autorisation de filature et épier M. Bellavance pour se faire une idée de sa routine. «D'autres outils d'enquête sont évalués pour compléter l'enquête avec succès», ajoutent les policiers. Le document est signé par un certain caporal E. Desormeaux, l'inspecteur Paul Mellon et un certain D. Gagnon.

Les documents déposés à la Cour fédérale traitaient aussi du dossier d'Abousfian Abdelrazik, un Montréalais qui poursuit Ottawa pour 27,5 millions. M. Abdelrazik prétend que sa réputation a été ternie par des employés du gouvernement qui ont laissé filtrer des informations confidentielles le reliant au terrorisme, alors qu'il n'a jamais été formellement accusé devant un tribunal

Dans ces documents, on a aussi appris que des enquêteurs d'une unité d'élite de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) ont consacré une partie de leur temps et de leurs ressources dans l'espoir d'identifier les sources d'un autre article publié dans La Presse il y a quatre ans.

En août 2011, La Presse avait obtenu un document secret du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) qui résumait une conversation téléphonique interceptée à l'été 2000 entre M. Abdelrazik et le prédicateur Adil Charkaoui. Le document expliquait que les deux hommes auraient comploté pour faire exploser un avion en vol entre Montréal et la France. Le contenu du document a été dévoilé dans un article signé par les journalistes Pierre-André Normandin et William Leclerc.

MM. Abdelrazik et Charkaoui ont tous deux nié vigoureusement avoir eu une telle conversation. La police, elle, a confirmé à la cour l'authenticité du résumé.