La promesse du gouvernement Harper de permettre le fractionnement du revenu pour les couples ayant des enfants de moins de 18 ans pourrait s'avérer un véritable cauchemar administratif pour l'Agence du revenu du Canada (ARC).

Des analystes de l'ARC ont évalué les incidences administratives d'une telle mesure fiscale, promise par les conservateurs aux élections fédérales de 2011, alors que la campagne électorale battait toujours son plein. Le premier ministre Stephen Harper avait indiqué que cette mesure verrait le jour une fois que son gouvernement aurait éliminé le déficit, ce qui devrait être fait en 2014-2015.

En tout, 1,8 million de familles canadiennes pourraient voir leur fardeau fiscal diminuer grâce à cette mesure.

Les analystes de l'ARC ont relevé plusieurs «enjeux» liés à la mise en oeuvre d'une telle promesse, qui pourrait priver le fisc d'au moins 2,7 milliards de dollars en revenus, révèlent des documents obtenus par La Presse en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

D'abord, cette mesure fiscale aurait une incidence importante sur les revenus des provinces, automatiquement touchés par des changements qu'apporte Ottawa sur le calcul des revenus imposables des particuliers.

Une récente étude menée par le Mowatt Centre estimait que les provinces risquent de perdre 1,7 milliard de dollars en revenus si le gouvernement Harper va de l'avant avec cette promesse. Une autre étude réalisée par l'Institut C.D. Howe arrivait aux mêmes conclusions. Pour le Québec, le manque à gagner pourrait être de 200 millions de dollars.

Cette perte de revenus pourrait obliger certaines provinces, déjà aux prises avec de larges déficits, à s'interroger sur le maintien des accords de perception fiscale qu'elles ont signés il y a plusieurs décennies avec le gouvernement fédéral, prévient-on dans les documents obtenus par La Presse. Le Québec est la seule province à avoir une Agence de revenu distincte.

L'analyse réalisée par les experts de l'ARC est largement censurée, mais les auteurs évoquent clairement la possibilité que des provinces décident de mettre fin aux accords de perception fiscale étant donné que le fractionnement du revenu pour les couples aura de lourdes conséquences financières pour elles.

Les analystes détaillent les conséquences de la mise en oeuvre de cette mesure «si les provinces/territoires adoptent ce changement et demeurent partie prenante des accords de perception fiscale», n'écartant pas ainsi l'hypothèse que des provinces décident de faire bande à part comme le Québec l'a fait en 1954. Autre incidence notable, le gouvernement fédéral pourrait être contraint d'offrir l'option aux conjoints d'une même famille de soumettre une seule déclaration de revenus si l'on permet le fractionnement, au lieu de soumettre une déclaration individuelle. Le revenu familial deviendrait donc pour certains contribuables la base de calcul pour déterminer les impôts à payer au fisc, ce qui ajouterait à la complexité du régime fiscal.

L'ARC a refusé de répondre aux questions de La Presse au sujet de cette analyse des experts.

Une promesse controversée

La promesse des conservateurs de permettre le fractionnement du revenu pour les couples ayant des enfants de moins de 18 ans, jusqu'à concurrence de 50 000$, demeure controversée. Deux études distinctes publiées au cours des derniers mois ont démontré que cette mesure favoriserait nettement un nombre restreint de contribuables ayant un revenu très élevé.

L'Institut C.D. Howe, un groupe de réflexion prônant des politiques de droite, a calculé que 85% des foyers, particulièrement les parents seuls, ne bénéficieraient aucunement de cette politique. Le Centre canadien de politiques alternatives, un groupe de réflexion prônant des politiques de gauche, a estimé dans un rapport publié en janvier que le fractionnement du revenu permettrait aux 10% des contribuables les mieux nantis d'obtenir d'alléchantes baisses d'impôts, alors que les 50% de Canadiens les plus pauvres n'en verraient à peu près aucun effet.

Avant de quitter son poste, l'ancien ministre des Finances, Jim Flaherty, avait d'ailleurs souligné l'iniquité de cette mesure, affirmant notamment qu'elle «profiterait beaucoup à une partie de la population et pas du tout à l'autre partie de la population». Malgré tout, le premier ministre Stephen Harper a affirmé qu'il entend respecter cette promesse.