Le ministère des Finances a réalisé une analyse exhaustive de l'impact fiscal qu'aurait la mise en oeuvre de la promesse du Parti conservateur de permettre le fractionnement du revenu pour les couples ayant des enfants de moins de 18 ans.

Cette analyse a été préparée par les fonctionnaires de la direction de la politique de l'impôt du Ministère à l'intention de l'ex-ministre des Finances Jim Flaherty, a appris La Presse. Les conclusions de cette analyse pourraient expliquer les doutes exprimés par M. Flaherty, moins de 24 heures après avoir déposé son dernier budget à la Chambre des communes, sur l'équité d'une telle politique fiscale - qui profiterait surtout, selon lui, aux familles les plus fortunées.

La Presse a réclamé les conclusions de cette analyse et d'autres documents connexes au ministère des Finances il y a quelques semaines, en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Mais le Ministère réclame un délai de 150 jours avant de remettre les quelque 300 pages de documents à La Presse, expliquant que des tierces parties doivent être consultées.

Mais deux études distinctes publiées au cours des derniers mois ont démontré que le fractionnement du revenu pour les couples ayant des enfants de moins de 18 ans - une promesse des conservateurs de Stephen Harper aux élections de 2011 - favoriserait nettement un nombre restreint de contribuables ayant un revenu très élevé. En vertu de cette promesse, les couples avec de jeunes enfants pourraient fractionner jusqu'à 50 000$ d'un des deux revenus pour réduire le fardeau fiscal du ménage.

Une mesure de 2,7 milliards

L'Institut C.D. Howe, un groupe de réflexion prônant des politiques de droite, a calculé en octobre 2011 que cette mesure coûterait 2,7 milliards au Trésor fédéral - en plus de 1,7 milliard aux provinces -, ce qui pourrait accaparer près de la moitié du surplus fédéral de 6,4 milliards prévu en 2015, le premier en sept ans. En outre, l'Institut estimait que 85% des foyers, particulièrement les parents seuls, ne bénéficieraient aucunement de cette politique.

Le Centre canadien de politiques alternatives, un groupe de réflexion prônant des politiques de gauche, a conclu dans un rapport publié en janvier que le fractionnement du revenu permettrait aux 10% des contribuables les mieux nantis d'obtenir d'alléchantes baisses d'impôts, alors que les 50% de Canadiens les plus pauvres n'en verraient à peu près aucun effet.

Au lendemain de son budget, M. Flaherty a provoqué une certaine bisbille au sein du gouvernement Harper en affirmant que «cette mesure profiterait beaucoup à une partie de la population et pas du tout à l'autre partie de la population». «J'aime croire que j'ai l'esprit analytique en tant que ministre des Finances. Quand nous allons discuter de cela au cabinet et au caucus, je vais présenter mon analyse à mes collègues.» Il a ajouté qu'il préférait utiliser les surplus pour rembourser la dette et réduire les impôts de tous les Canadiens.

Mais certains ministres, dont Jason Kenney (Emploi) et Tony Clement (Conseil du Trésor), se sont empressés de dire qu'ils tenaient à respecter leur promesse sur le fractionnement du revenu.

Le nouveau ministre des Finances, Joe Oliver, a pour sa part soufflé le chaud et le froid sur cette question depuis sa nomination, la semaine dernière. Son bureau a indiqué à La Presse qu'il n'avait pas encore lu l'analyse préparée par le Ministère sur l'impact fiscal de cette mesure.

Le porte-parole du Nouveau Parti démocratique en matière de finances, Nathan Cullen, a sommé le ministre Oliver de déposer l'analyse préparée par le Ministère à la Chambre des communes.

«Si le ministre a cette analyse entre les mains, il a l'obligation de la déposer aux Communes. On sait déjà que deux études indépendantes ont démontré que cela va coûter une fortune au gouvernement et que cela va profiter à un petit nombre de contribuables canadiens», a affirmé Nathan Cullen à La Presse.

Le ministre d'État aux Petites Entreprises, Maxime Bernier, a pour sa part affirmé que le gouvernement tient à réduire les impôts des familles canadiennes. «Nous sommes privilégiés de pouvoir débattre de baisses d'impôts au Canada alors que la majorité des pays industrialisés sont encore aux prises avec de larges déficits. Cela démontre que nous avons bien géré les finances publiques», a-t-il dit.

- Avec William Leclerc