Planifiés ou pas, les aveux de Justin Trudeau sur sa consommation passée de cannabis ne devraient pas nuire à son image publique, selon des experts, qui soulignent que les Canadiens font majoritairement preuve de tolérance sur la question.

Les aveux de Justin Trudeau sur sa consommation de marijuana ne risquent pas de ternir son image et pourraient même jouer en sa faveur auprès de certains pans de l'électorat, estiment des experts.

Le chef du Parti libéral du Canada a admis hier qu'il avait déjà fumé du cannabis «cinq ou six fois» au cours de sa vie, la dernière fois il y a trois ans, au moment où il siégeait comme député au Parlement.

«J'étais dans un souper sur ma terrasse, chez moi à l'arrière de la maison, il y a quelqu'un qui a pris un joint, il l'a allumé, on l'a passé, j'ai pris une puff et je l'ai passé à la prochaine personne», a-t-il déclaré lors d'un point de presse, hier à Québec, où il était de passage pour rencontrer le maire Régis Labeaume. Il a cependant précisé que ses enfants étaient gardés chez leur grand-mère cette soirée-là et qu'il n'avait jamais vraiment ressenti les effets de la drogue.

Sa déclaration survient peu de temps après qu'il se fut positionné en faveur de la légalisation de la marijuana. C'est d'abord lors d'une entrevue avec le Huffington Post publiée hier matin qu'il a précisé avoir consommé alors qu'il siégeait à la Chambre des communes. «Je suis content d'être un futur premier ministre qui a l'honnêteté d'admettre ce qu'il a fait», a-t-il déclaré.

Justin Trudeau ne s'excuse pas pour son geste. Il réfute avoir fait preuve d'un manque de jugement et s'est même dit très "fier" de ne pas s'être défilé. «Je fais preuve de transparence. Je sais très bien que les conservateurs, mes opposants, vont vouloir m'attaquer là-dessus. Mais je fais confiance aux Canadiens, à l'intelligence, au fait qu'ils sont des gens raisonnables qui sont ailleurs que là où se sont placés les conservateurs.»

En effet, le ministre de la Justice Peter MacKay n'a pas tardé à critiquer le chef libéral. «Justin Trudeau a démontré un profond manque de jugement en fumant de la marijuana alors qu'il était élu... En bafouant les lois du Canada, il montre qu'il est un mauvais exemple pour tous les Canadiens, particulièrement les jeunes», a-t-il dit.

«Ses actions parlent pour elles-mêmes», a affirmé de son côté le premier ministre Stephen Harper, qui jure n'avoir jamais fumé du cannabis puisqu'il est asthmatique.

Justin Trudeau a profité de sa rencontre avec les journalistes pour souligner que 475 000 Canadiens ont écopé d'un casier judiciaire pour avoir consommé de la marijuana depuis l'arrivée au pouvoir des conservateurs en 2006. Le coût des procédures judiciaires est de 500 millions de dollars par année. «C'est un gâchis de vies et d'argent», a-t-il dit.

Tolérance du public

Trois experts consultés par La Presse estiment qu'en matière d'opinion publique, Justin Trudeau a sans doute pris la bonne décision en admettant qu'il ait déjà consommé du cannabis.

«Somme toute, c'est un bon coup. Plutôt que de patiner, il a pris le taureau par les cornes», lance Yves Dupré, président du conseil de la firme Octane stratégies communications.

Un sondage mené en 2012 par la firme Angus Reid et dont les résultats ont été publiés dans le magazine Maclean's a démontré que 57% des Canadiens sont pour la légalisation du pot.

«Je ne pense pas que ça peut être très dommageable pour lui. Il y a une certaine forme de tolérance envers le cannabis que l'on ne retrouve pas nécessairement dans les politiques publiques qui sont très répressives», ajoute Thierry Giasson, professeur au Département d'information et de communication de l'Université Laval et directeur du Groupe de recherche en communication politique.

M. Giasson ne considère pas que la déclaration de M. Trudeau s'inscrit dans une stratégie politique calculée et juge qu'elle sera perçue comme honnête au sein du public.

«Ça le rend conséquent avec sa position sur la légalisation de la marijuana», ajoute Jean-Herman Guay, professeur de science politique à l'Université de Sherbrooke.

«Je pense que si on menait un sondage, on se rendrait compte qu'il y a un grand pourcentage de Canadiens qui ont déjà fumé du pot. Les gens sont un peu tannés du discours hypocrite et de la langue de bois. Sa déclaration nous laisse un sentiment de vérité.»

Certains Canadiens issus de l'immigration ou membres des minorités culturelles où l'usage de la drogue est très mal perçu pourraient aussi être froissés par la déclaration de M. Trudeau. «Mais ce n'est pas comme s'il disait ça en campagne électorale», dit Jean-Herman Guay.

«Cette histoire me fait penser à celle d'André Boisclair, qui avait consommé de la cocaïne alors qu'il était député", ajoute Yves Dupré. «Ce n'est pas la même drogue, mais il avait tellement étiré l'affaire, les informations sortaient au compte-goutte, que ça avait fini par l'achever. L'affaire était devenue plus grosse qu'elle ne l'était en réalité.»

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En chiffres

> 57% des Canadiens interrogés se disaient en faveur de la légalisation du cannabis,

contre 54% des Américains.

> Moins de 11% des Canadiens et des Américains souhaitent la légalisation d'autres drogues comme la cocaïne, l'héroïne, l'ecstasy ou la métamphétamine (cristal meth).

>Les deux tiers des Canadiens et des Américains interrogés jugent que la guerre aux narcotrafiquants est un échec.

> Les deux tiers des Canadiens et des Américains interrogés croient que le cannabis sera légalisé au cours des 10 prochaines années dans leur pays respectif.

Source: Sondage Angus Reid de 2012

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Ces politiciens qui sont déjà passés aux aveux

> Bill Clinton durant la campagne présidentielle américaine de 1992: «Quand j'étais en Angleterre, j'ai expérimenté le cannabis une fois ou deux. Je n'ai pas aimé. Je n'ai pas inhalé et je n'ai pas réessayé.»

> Barack Obama en 2006 alors qu'il était sénateur de l'Illinois: «Quand j'étais jeune, j'ai inhalé... fréquemment. C'était le but.» Dans son livre Dreams from My Father (1995), il a aussi admis avoir essayé la cocaïne, une fois:

> Michael Bloomberg lorsqu'on lui a demandé s'il avait déjà fumé du pot, en 2001, avant qu'il ne devienne maire de New York. «Et comment que j'ai essayé! Et j'ai aimé ça.» «You bet I did. And I enjoyed it.» L'année suivante, la National Organization for the Reform of Marijuana Laws Foundation a repris la phrase pour une campagne publicitaire.

> Michael Ignatieff, en 2011, alors qu'il était chef du Parti libéral du Canada: «J'ai fumé du pot lorsque j'étais jeune, oui... et c'est une des raisons pour lesquelles je conseille aux jeunes de ne pas répéter l'expérience.»

> Pauline Marois: sur le site de TVA, en date du 17 octobre 2005, on peut lire qu'elle a admis lors d'un débat avec André Boisclair, à l'émission Larocque-Auger, qu'elle avait fumé du pot lorsqu'elle avait 19 ans.

- Par Annabelle Blais

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Le cannabis ailleurs dans le monde

> Pays-Bas:pas légal, mais toléré

Contrairement à ce qu'on entend souvent, le cannabis est illégal aux Pays-Bas. Depuis 1976, la consommation de cannabis en petite quantité est toutefois tolérée. Les coffee shops sont autorisés à vendre 5 grammes de cannabis par personne par jour. Mais la production et l'approvisionnement demeurent illégaux pour tous. Les propriétaires de ce type de commerces doivent donc faire leurs achats en toute discrétion, un état de fait qui a créé le phénomène dit de la «porte arrière». En 2012, le gouvernement a tenté d'interdire aux étrangers l'achat et la consommation de marijuana dans ses coffee shops. Il a depuis assoupli sa position et les villes sont libres d'appliquer ou non la politique.

> États-Unis: les États disent oui, l'État dit non

Aux États-Unis, plusieurs États ont voté des lois pour légaliser le cannabis thérapeutique ou pour dépénaliser la possession de petites quantités de drogues douces (la marijuana n'est pas légale, mais en posséder n'est pas passible de prison). En novembre dernier, les États du Colorado et de Washington ont accepté par référendum de légaliser le cannabis pour usage récréatif. Un problème persiste, cependant: la drogue douce demeure interdite par la loi fédérale. Les dispensaires et producteurs ne sont donc pas à l'abri de sanctions de la DEA (Drug Enforcement Administration).

> Uruguay: acheter sa drogue au gouvernement

L'Uruguay pourrait bientôt faire figure de pionnier en matière de cannabis. Au début du mois, la Chambre basse a adopté un texte légalisant cette drogue. Si le Sénat approuve à son tour le projet, le gouvernement contrôlera sa production, mais aussi la vente, du jamais vu. Les Uruguayens pourront acheter jusqu'à 40 grammes par mois dans les pharmacies autorisées.