De la séduction à la désillusion: cinq ans après l'arrivée au pouvoir de Stephen Harper qui apportait l'espoir d'un renouveau de la délicate relation entre Québec et Ottawa, beaucoup de Québécois sont restés sur leur faim.

d'allégeance conservatrice au Québec mais ceux qui espéraient un renouveau des relations avec le fédéral sont déçus, croient des observateurs de la scène politique canadienne.

En 2005, le message de Stephen Harper, qui promettait un fédéralisme d'ouverture et une relation plus saine avec la province, a plu aux Québécois.

La séduction a porté fruit et, contre toute attente, les conservateurs se sont emparés de 10 sièges au Québec aux élections du 23 janvier 2006, alors qu'ils n'en détenaient aucun à ce moment.

Un impact majeur pour le Québec où le Parti était boudé depuis Brian Mulroney.

Peu après, le premier ministre nouvellement élu a concrétisé sa main tendue par trois mesures: la reconnaissance de la «nation québécoise» par une motion au parlement fédéral, l'octroi d'un siège pour le Québec à l'UNESCO et un certain règlement -fort attendu- du déséquilibre fiscal.

Avec la motion sur la nation québécoise, Stephen Harper a posé un geste majeur, estime Antonia Maioni, professeure de politique québécoise et canadienne à l'Université McGill.

«Ça a été une déviation des autres partis politiques du passé». Un acte de courage qui a «ouvert une voie pour un rapprochement avec les Québécois».

«2006 a été l'espoir», résume-t-elle.

Mais cinq ans plus tard, la reconnaissance est jugée plus symbolique qu'autre chose.

«La promesse de cette déclaration n'a pas vraiment été réalisée par la suite. On n'a pas vraiment su ce que ça voulait dire, accepter ou reconnaître une nation québécoise, et dans la façon dont M. Harper a regardé le Québec par la suite, on n'a pas vraiment eu le sentiment qu'il avait vraiment compris», note Mme Maioni.

Surtout que le gouvernement Harper n'a pas l'intention de rouvrir le débat constitutionnel avec le Québec, rappelle Benoît Pelletier, ancien ministre libéral des Affaires intergouvernementales sous Jean Charest.

Dès le printemps 2008, les compressions dans le budget de la culture, si chère aux Québécois, ont mis le feu aux poudres et fait en sorte que les électeurs ont commencé à douter de l'ouverture du premier ministre et de sa compréhension envers la «nation», explique-t-elle.

D'où un certain point de rupture entre les Québécois et Stephen Harper.

«J'ai senti que le Parti conservateur était peut-être prêt à abandonner la chasse pour le coeur des Québécois», explique Mme Maioni.

L'ex-sénateur et ministre conservateur québécois Michael Fortier concède que le dossier de la culture a été l'un des «irritants» de la relation Québec-Harper. Tout comme les actions entreprises pour réprimer la criminalité, qui sont «des éléments de politique qui n'accrochent pas toujours les Québécois».

Il croit qu'un certain fossé existe toujours, même si Stephen Harper a réellement «ouvert les bras au Québec» en 2005.

Mais de façon globale, M. Fortier est d'avis que «les gens donnent à M. Harper un bon score, notamment dans la gestion de l'économie et des dossiers courants».

Sans compter qu'il n'a pas tenté de pelleter le déficit canadien dans la cour des provinces comme les libéraux, ajoute M. Pelletier.

D'ailleurs, aux dernières élections fédérales -en octobre 2008- les Québécois ont envoyé à Ottawa le même nombre de députés qu'en 2006, soit 10.

Mais pour le professeur et directeur du département de science politique de l'Université Laval, Guy Laforest, anciennement président de l'Action démocratique du Québec (ADQ), la brisure se situe plutôt en 2007 quand Jean Charest a utilisé l'argent du règlement du déséquilibre fiscal pour consentir des baisses d'impôts.

«Il y a eu un durcissement de Harper à l'égard du Québec», juge-t-il. Et c'était le début de la fin du «fédéralisme d'ouverture».

Alors que plusieurs craignaient que M. Harper ne fasse prendre un virage idéologique au Canada -notamment en minimisant le rôle de l'État, en y appliquant une vision libertarienne et en faisant la promotion des valeurs chrétiennes- un tel changement ne se serait pas produit.

«Il voulait orienter davantage à droite les valeurs et la culture politique canadienne et il a peut-être réussi un peu, mais pour l'instant, ça ne semble pas être une réussite en profondeur», remarque M. Laforest.

On le constate cependant dans les efforts faits pour démanteler le registre national des armes à feu, qui ont mené à une levée de boucliers au Québec, où une bonne partie de la population souhaitait le garder intact. La récente abolition du formulaire détaillé et obligatoire de recensement s'inscrivait aussi dans cette idéologie conservatrice de liberté et «non-ingérence» du gouvernement dans la vie privée des citoyens.

Stephen Harper aurait-il ainsi atteint les limites de ce qu'il peut -ou veut- faire pour le Québec?

Oui, selon Mme Maioni. Sans débat constitutionnel et sans désir de favoriser la culture et la langue, «les limites sont tracées».

La place du français au pays n'a pas vraiment changé sous les conservateurs, ajoute-t-elle. Le débat qui fait actuellement rage sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême du Canada en est un bon exemple.

Un Québec qui semble actuellement inexistant comme préoccupation et comme base politique à Ottawa, renchérit M. Laforest, notant que c'est sous M. Harper qu'il y a eu le plus petit nombre de ministres en provenance du Québec depuis 50 ans.

Mais Benoît Pelletier et Michael Fortier sont en désaccord avec ce constat: ils ne croient pas qu'il y ait eu un abandon du Québec.

«Le premier ministre est un stratège et c'est quelqu'un de très compétitif. Je ne crois pas qu'il se satisfasse de 10 sièges (au Québec)», note M. Fortier.

Un lien avec le Québec qui s'est étiolé, mais pas irrémédiablement brisé, de conclure M. Laforest.

M. Harper se serait simplement retiré, et regarde ailleurs, vers l'Alberta et l'Ontario où des circonscriptions peuvent être plus facilement gagnées pour obtenir ce gouvernement majoritaire qu'il souhaite tant.