Le ministre des Affaires étrangères, Lawrence Cannon, a affirmé hier que le gouvernement canadien comptait en appeler de la décision de la Cour fédérale qui le somme de réclamer le rapatriement d'Omar Khadr... avant d'être rappelé à l'ordre par le bureau du premier ministre, semant ainsi la confusion.

Après avoir affirmé que le gouvernement en appellerait «fort probablement de cette décision», le ministre, bombardé de questions par les partis de l'opposition à la Chambre des communes, s'est empêtré à sa dernière intervention sur le sujet. «Nous irons en appel de la décision», a alors déclaré M. Cannon, catégorique.

 

Une heure plus tard, sa directrice des communications, Catherine Loubier, faisait le tour des médias pour préciser que le jugement était toujours à l'étude par les avocats du gouvernement et qu'aucune décision finale n'avait encore été prise, confirmant toutefois que le ministre envisageait «très sérieusement» la possibilité d'en appeler.

Dans un jugement rendu jeudi, la Cour fédérale du Canada ordonne au gouvernement conservateur de réclamer sans délai le retour au pays du jeune prisonnier, détenu à Guantánamo depuis 2002. Le juge James O'Reilly estime que le Canada viole la Charte des droits et libertés et la Convention de Genève contre la torture en refusant de réclamer le rapatriement de M. Khadr, citoyen canadien.

Le gouvernement de Stephen Harper a 30 jours pour décider s'il en appelle de la décision.

Arrêté par l'armée américaine en Afghanistan à l'âge de 15 ans, Omar Khadr est accusé notamment de meurtre et d'activités terroristes.

Les partis de l'opposition, les groupes de défense des droits humains et les avocats de M. Khadr réclament depuis des mois, voire des années, que le jeune prisonnier soit rapatrié au pays pour y être jugé. Le gouvernement canadien plaide que c'est aux autorités américaines de le juger, compte tenu de la gravité des crimes qui lui sont reprochés.

Or, le président américain Barack Obama a annoncé dès son arrivée au pouvoir que le controversé centre de détention devrait fermer ses portes d'ici un an. M. Khadr est actuellement le seul ressortissant occidental à Guantánamo dont le rapatriement n'a pas été réclamé par son pays d'origine.

»Totalement démagogique»

Le ministre Lawrence Cannon a par ailleurs fait bondir l'opposition, hier à Ottawa, en accusant M. Khadr d'avoir fabriqué et dissimulé «les mêmes bombes qui ont pris la vie d'un certain nombre de nos soldats, incluant Karine Blais, décédée la semaine dernière». Les funérailles de la jeune soldate originaire de Les Méchins, en Gaspésie, étaient célébrées au même moment.

«C'est totalement démagogique, a lancé le leader parlementaire du Bloc québécois, Pierre Paquette. Je trouve ça extrêmement malhonnête. Essayer, par association, de rendre coupable Omar Khadr du décès de cette jeune militaire, je trouve que c'est manquer de respect envers les familles et envers les militaires.»

«C'est tout simplement une façon de dévier le débat, de noyer le poisson et de se défiler devant leurs responsabilités parce que tôt ou tard, le jugement de la Cour fédérale est clair à cet égard-là, le Canada aura à demander le rapatriement d'Omar Khadr», a ajouté le député bloquiste, pour qui l'entêtement des conservateurs témoigne d'un mépris des institutions démocratiques.

«Je trouve ça incroyable de faire comme ça un procès sur le parquet de la Chambre des communes, a pour sa part vilipendé le critique libéral en matière d'affaires étrangères, Bob Rae. Si le gouvernement a de nouvelles preuves contre M. Khadr, j'oserais espérer qu'il voit là une raison supplémentaire de le ramener au pays pour qu'il soit jugé par nos tribunaux. Nous sommes tous d'accord que les allégations contre lui sont sérieuses.»

M. Rae estime que le ministre Cannon utilise des tactiques dignes du maccarthysme, politique de persécution utilisée dans les années 50 aux États-Unis contre les communistes.

Pour le critique néo-démocrate Paul Dewar, M. Cannon se sert d'une tragédie - la mort de soldats canadiens - pour tenter de défendre la position indéfendable du Canada, qui ne fait pas son travail en refusant de rapatrier M. Khadr.

«Est-ce que M. Cannon pense qu'Omar Khadr orchestre tout ce qui se passe en Afghanistan de sa cellule à Guantánamo?» a ironisé M. Dewar.