Sculpteur dès l'aube et chauffeur de tramway au crépuscule, Roland Dinel passait de six à sept heures par jour dans son atelier à façonner sans arrêt des milliers d'oeuvres sculpturales. Aux côtés des Robert Roussil et autres Armand Vaillancourt, il aura été l'un des précurseurs de la sculpture abstraite au Québec.

Issu d'une famille de 19 enfants, Roland Dinel a servi comme sergent instructeur au camp de Farnham durant la Seconde Guerre mondiale. À sa démobilisation, il s'est inscrit à l'École du Meuble où enseignait Paul-Émile Borduas et où étudiait le sculpteur et ami Robert Roussil, décédé le 15 mai dernier. «C'était une époque de grande effervescence. Après la guerre et le nazisme, la sculpture était pour eux une manière de se réapproprier leur travail, d'être les maîtres de leur création», raconte son fils Pierre Dinel.

Or, pour gagner sa vie, le père de famille a dû travailler de soir comme chauffeur à la Commission des transports de Montréal pendant 27 ans. «À la maison, il dessinait toujours sur un coin de table. Lorsqu'il terminait sa ligne de transport, il s'allumait une cigarette et faisait des croquis sur les petites bandes de papier qui enveloppaient les tickets de correspondance. Nous en possédons des milliers», confie son fils.

En 1953, Roland Dinel se joint aux Roussil, Henri Gagnon et Armand Vaillancourt à l'Atelier de la Place des Arts, un espace de création et de rencontres politisées, qui aura précédé l'actuelle Place des Arts de 10 ans. M. Vaillancourt garde en mémoire un homme bienveillant: «Une journée où je devais livrer une lourde sculpture dans le nord de la ville, Roland est arrivé sur Bleury et a empêché tout le monde de monter à bord de son tramway pour m'y conduire à une vitesse folle!», se souvient le sculpteur de 84 ans.

Grand maître

D'abord figuratives, puis abstraites, les sculptures longilignes de Roland Dinel seront exposées un peu partout au Québec et ailleurs dans le monde. Le sculpteur aura contribué au rayonnement de son art, puisqu'il comptait parmi les 10 cofondateurs de l'Association des sculpteurs du Québec en 1961.

«De peu représentée, la discipline a connu un essor très important», relate l'un des cofondateurs, Yves Trudeau, autrefois compagnon d'atelier de Dinel. «Il était un homme enjoué, même lorsqu'il travaillait. Sa méthode était intelligente, raffinée. C'était un grand maître de la sculpture sur bois.»

Grand voyageur et mélomane, Dinel aura été profondément marqué par ce mois d'été 1968 passé au symposium de sculpture d'Horice en République tchèque, qui était alors la Tchécoslovaquie. «Il partait à la rencontre des grands sculpteurs de sa génération, mais sur fond de Printemps de Prague. Il s'est par la suite éloigné des organisations communistes de l'époque. Mon père était un homme engagé, mais ce n'est pas lui qui montait aux barricades», remarque Pierre Dinel.

Sa spiritualité, l'homme non religieux la trouvait dans son art qu'il pratiquait encore il y a quatre ans dans son atelier à Saint-Roch-de-l'Achigan : «Pour lui, l'être humain devait nécessairement créer. Mon père était maître de son oeuvre et trouvait son plaisir à imaginer tout ce que la sculpture lui permettait d'imaginer», conclut son fils.

Roland Dinel laisse dans le deuil sa femme Réjeanne, ses enfants Pierre et Danielle, 6 petits-enfants et 11 arrière-petits-enfants. Selon ses volontés, il n'y aura pas de funérailles.